“Celui qui commande…” l’air, commande la guerre

par | 20 Déc 2023 | Analyses, Tribunes libres

Par le professeur Z. S. Andrew Demirdjian,
Los Angeles, 15 décembre 2023

 

L’ère de l’essaim de drones arrive, et nous devons nous y préparer”.
Zachary Kallenborn

 

Depuis l’époque glorieuse du très vénéré Tigrane le Grand, les Arméniens ont été dans une spirale de perte de leurs terres ancestrales. Leur patrie a été rétrécie par les Assyriens, les Perses, les Romains, les Arabes, les Mongols, les Turcs, les Azéris, etc. Aujourd’hui, la République d’Arménie ne représente qu’un dixième de ce qu’elle a été pendant des millénaires.

Dans certaines de ces guerres territoriales passées, les Arméniens ont gagné, mais dans beaucoup d’autres, ils ont perdu. La principale raison de ces défaites est l’absence d’une doctrine militariste forte dans leur politique nationale globale et leur désunion débilitante. La dernière perte en date est celle de l’Artsakh, à cause de la négligence et de l’égocentrisme des chefs militaires arméniens qui auraient dû être prêts à contrer les offensives “télégraphiées” de l’Azerbaïdjan.

Cet essai part du principe que l’Arménie devrait mener une politique militariste poussée afin d’acquérir les armes nécessaires à la protection du peu qu’il reste de sa patrie.

Les dirigeants arméniens semblent avoir manqué d’unité, de conviction ou du désir d’un gouvernement de maintenir une forte capacité militaire pour l’autodéfense et d’être toujours prêts à l’utiliser, même de manière agressive, pour sauvegarder ou promouvoir les intérêts nationaux.

L’hostilité et le militarisme de la Turquie et de son petit frère ogre, l’Azerbaïdjan, dans la région n’ont pas diminué de manière perceptible. S’appuyant sur l’avantage du militarisme, ces deux États voyous se sont lancés dans un plan ambitieux pour continuer à conquérir les terres de leurs voisins dans la même tradition cruelle de leurs ancêtres pilleurs qui ont fait irruption en Asie centrale pour subjuguer les nations pacifiques et établies. Au fil des ans, ils ont accumulé une puissance militaire considérable afin de conserver leurs conquêtes.

Le Premier ministre Winston Churchill et le capitaine David Margesson, secrétaire d'État à la guerre, observent les préparatifs pour le lancement d'un hydravion De Havilland Queen Bee L5984 depuis sa rampe. L'hydravion cible sans pilote Queen Bee était une version radiocommandée de l'avion d'entraînement Tiger Moth.

Un coup d’œil sur l’histoire montre que les bonnes armes font toute la différence en temps de guerre. Par exemple, les Hittites voulaient dominer la région. Pour devenir une force redoutable, ils ont mis au point un char supérieur – des chars à trois hommes, par opposition à l’ancien modèle de chars conduits par un seul homme. Un homme dirigeait le char, les deux autres utilisaient librement leurs arcs et leurs flèches pour tirer sur les soldats ennemis, à droite et à gauche. C’est ainsi qu’ils ont conquis l’Égypte sans trop de difficultés et en perdant peu de soldats.

Pour un exemple récent de ce que la bonne arme peut faire pour une nation en guerre, prenons l’exemple de l’Angleterre. “Car quiconque commande la mer commande le commerce ; quiconque commande le commerce du monde commande les richesses du monde, et par conséquent le monde lui-même”, écrivait l’aventurier anglais Sir Walter Raleigh. Les Anglais ont suivi le conseil de Raleigh et ont créé une force maritime plus puissante que celle qu’ils possédaient déjà, qui englobait toutes les capacités navales et maritimes d’une nation donnée. Ils ont ainsi créé l’empire le plus puissant du monde. À son apogée, du 18e au 20e siècle, la Grande-Bretagne était “l’empire sur lequel le soleil ne se couche jamais”, en référence à l’immensité des territoires sous sa juridiction.

Hitler a fait pleuvoir des bombes sur Londres pour que la Grande-Bretagne se rende pendant la Seconde Guerre mondiale, mais le Premier ministre Winston Churchill a refusé de succomber. Toute la nation s’est mobilisée pour produire des avions de chasse et des drones et a contribué financièrement à la lutte contre Hitler et à sa défaite. Ils y sont parvenus grâce au militarisme et à l’unité.

Les Arméniens devraient tirer des leçons durables de ces nations qui, confrontées à des ennemis puissants, ont militarisé leurs forces pour renverser la vapeur. La vaste diaspora arménienne dispose d’amples ressources pour aider l’Arménie et l’Artsakh à acquérir ou à produire leurs propres armes modernes autonomes air-sol.

La nation arménienne a lamentablement perdu la deuxième guerre de l’Artsakh en 2020 en raison de la capacité de l’Azerbaïdjan à lancer des drones de combat obtenus auprès de la Turquie et d’Israël. Ces UAV (Unmanned Aerial Vehicles) étaient également pilotés à distance par des experts israéliens. Ce n’est pas l’arme, mais celui qui a appuyé sur la gâchette qui est le criminel qui affronte aujourd’hui les forces palestiniennes.

Nous devons également admettre nos lacunes. Les chefs militaires arméniens se sont révélés irresponsables et égoïstes : ils ne se sont pas préparés à faire face à l’augmentation des forces alliées de l’Azerbaïdjan et à l’accumulation d’armes modernes. Au lieu de cela, ils ont fait preuve d’autosatisfaction et se sont complus dans leurs succès lors de la première guerre de l’Artsakh en 1992.

En violant les accords de cessez-le-feu et devant les puissances occidentales “spectatrices”, l’Azerbaïdjan a lancé une attaque surprise sur l’Artsakh le 19 septembre 2023 après avoir assiégé la population par la famine pendant dix mois.

Craignant une guerre imminente, la violence et la persécution, toute la population de l’Artsakh a fui ses maisons, ses fermes et sa patrie millénaire pour se réfugier en Arménie. L’exode de ce peuple assiégé a constitué un “génocide par nettoyage ethnique”.

Au lendemain de la guerre des 44 jours en 2020, le président Aliyev a inscrit à l’agenda militaire de l’Azerbaïdjan la “libération” de la soi-disant “Arménie occidentale” comme appartenant à l’Azerbaïdjan.

Une variante de la revendication d’Aliyev est que le khanat d’Erevan (province d’Erevan), le lac Sevan et Zangezur (Syunik), y compris huit villages le long de la frontière de la province de Tavush (marz) avec l’Azerbaïdjan, devraient être remis à l’Azerbaïdjan, faute de quoi il les prendrait par la force. Cette demande constitue la quasi-totalité du territoire souverain de la République d’Arménie. En conséquence, toute la population arménienne doit être entassée à Gyumri, nouvelle capitale d’un État croupion.

De même, pour réaliser le vieux rêve turc de pan-turquisme et réunir les États turcophones d’Asie centrale en une seule nation, l’Arménie devrait autoriser la construction d’un corridor dit de Zangezur sous le contrôle de l’Azerbaïdjan afin de pouvoir relier son exclave de Nakhetchvan à l’Azerbaïdjan continental. Faire d’une pierre deux coups semble aiguiser l’appétit de ces deux États voyous.

L'essaim de drones Gremlin de la DARPA en mission de destruction de cibles ennemies sans pilote à distance.

L’Arménie confrontée à une menace existentielle

Le fait que l’Arménie soit confrontée à une menace existentielle n’est pas farfelu. Il est temps que nos dirigeants se mettent d’accord sur l’adoption d’une politique de militarisme avant qu’il ne soit trop tard pour que l’Arménie devienne autonome et autosuffisante dans la protection de ses propres droits et intérêts.

La plupart des Arméniens se vantent d’être intelligents, tenaces et résistants. Il y a beaucoup de vérité dans cette attitude. Il y a de fortes chances qu’ils soient individuellement intelligents, mais lorsqu’ils se retrouvent en groupe, ils échouent lamentablement à produire un semblant d'”intelligence en essaim”. Ils ont du mal à s’entendre entre eux. Ils manquent d’unité et ils déplorent publiquement cette carence nationale. Par conséquent, ils restent impuissants à produire un effet de synergie dans la résolution des questions et des problèmes nationaux.

Tout au long de l’histoire, la puissance militaire a eu sa propre communication manifeste avec l’ennemi : “Ne me cherchez pas des noises, sinon vous aurez le nez en sang”. La puissance militaire permet également de détourner, voire de décourager, l’agression d’États voyous.

Quand les Arméniens apprendront-ils à embrasser le militarisme pour se défendre ? Quand cesseront-ils de prôner l’unité du bout des lèvres ? Quand commenceront-ils à écouter l’expérience de leur diaspora ?

Si l’acquisition de véhicules blindés en France ou de canons d’artillerie en Inde est une bonne chose, elle ne résoudra pas le problème du combat terrestre, qui s’est déplacé dans le ciel. Depuis la Première Guerre mondiale, tous les experts militaires ont mis l’accent sur la guerre aérienne. De nos jours, les drones déterminent l’issue de toute guerre.

La révolution des drones a lieu en ce moment même ; soit on prend le train en marche, soit on reste sur le bord du chemin, désespérément impuissant dans un monde caractérisé par la concurrence, l’avidité et les relations conflictuelles entre les pays. Le conflit semble être en germe dans toutes les nations tant que le monde se compose également de dirigeants et de dirigés, d’États voyous et de pays dictatoriaux, tels que l’Azerbaïdjan et la Turquie, en tant que violateurs des droits de l’homme et de ceux qui ne respectent pas les valeurs et la dignité de l’homme.

L’adoption de la 5G, la cinquième génération de la dernière itération de la technologie cellulaire, qui est capable d’augmenter la vitesse et la réactivité des réseaux sans fil, continue de permettre aux technologies des drones de se développer dans diverses industries. La confluence des sciences et des technologies de l’intelligence artificielle, de l’intelligence en essaim et de la nanotechnologie moléculaire produit de nouveaux types de drones qui déterminent l’issue de la guerre entre un petit pays et un Goliath – en faveur de celui qui emploie des drones autonomes.

Il y a un message urgent à adresser aux retardataires de l’innovation qui sont en retard dans l’adoption de nouvelles sciences et technologies pour faire progresser leurs infrastructures nationales commerciales, sociales et de défense. La technologie des drones est l’une des frontières qui évolue rapidement.

L’Iran, l’Inde, la Chine, la Turquie et Israël produisent des drones pour l’exportation et pour leurs propres arsenaux. L’Arménie devrait également se lancer dans la production de ses propres drones, d’autant plus qu’elle est coincée entre deux ennemis turcs qui ont juré d’anéantir le peuple arménien.

Dans l’article de Shaan Shaikh et Wes Rumbaugh intitulé The Air and Missile War in Nagorno-Karabakh : Lessons for the Future of Strike and Defense (8 décembre 2020, publié par le Center for Strategic and International Studies), les auteurs affirment que pendant le conflit du Haut-Karabakh, “la combinaison de drones et d’artillerie de l’Azerbaïdjan a efficacement ciblé les ressources militaires de grande valeur de l’Arménie, plus particulièrement dans les attaques contre les chars T-72 et les défenses antiaériennes S-300”. Ils affirment qu’en particulier, les frappes sur les unités de défense aérienne ont limité la capacité de l’Arménie à contrer les drones de l’Azerbaïdjan. En conséquence, les forces arméniennes ont été éliminées en un rien de temps.

Tous les analystes militaires affirment, d’une manière ou d’une autre, que les drones sont les futures armes du 21e siècle. Voici ce que dit un expert, Louis A. Del Monte (auteur de plusieurs livres sur les drones) : “Les nanotechnologies militaires, en particulier les nanobots [minuscules nano-armes], deviendront les armes déterminantes du XXIe siècle”. Pour se défendre, l’Arménie devrait sérieusement commencer à assembler des drones de combat ou à les acheter à la Chine ou à l’Inde dès que possible, car “Quiconque commande…” l’air, commande la guerre.

Source : https://keghart.org/demirdjian-command-air-war/
Traduit de l’anglais par Jean Dorian