LE POGROM « FURTUNA »

par | Juin 22, 2020 | Archives

 

Une page noire en Turquie il y a 86 ans : Le pogrom «FURTUNA»
 
 
Doğan Özgüden
 
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Les massacres, les pogroms, les actes génocidaires qui ont commencé sous l’Empire ottoman et qui ont continué après la fondation de la République de Turquie, afin de purifier le pays en éliminant les non-musulmans tels que les Arméniens, les Assyriens, les Grecs et les Kurdes, ont pris aussi comme cible les juifs.
En 1934, 21 ans avant le pogrom qui ont eu lieu à Istanbul et à Izmir les 6 et 7 septembre 1955 contre les non-musulmans, un pogrom a été infligé aux juifs dans la région de Thrace.[i]
Tout comme les Asssyriens-Aramis-Chaldéens ont appelé le génocide de 1915 «Seyfo», les Juifs appelaient le pogrom de Thrace «Furtuna».
À la suite d’articles racistes contre les juifs parus dans les médias comme «Orhun» dirigée par Nihal Atsız, un sympathisant du nazisme, ou dans le journal «Milli Inkilap» (Révolution nationale) dirigé par Cevat Rıfat Atilhan, qui contenait des caricatures antisémites directement extraites du journal nazi «Der Sturmer», l’opinion publique a été influencée pour agir violemment contre la minorité juive. Dans les provinces telles que Tekirdag, Edirne, Kirklareli et Canakkale, des magasins et des maisons juifs ont été pillés et des femmes ont été violées.
Bien avant les provocations d’Atsiz et d’Atilhan, le gouvernement turc, dirigé par le Premier ministre Ismet Inönü, sous la présidence d’Atatürk, avait jeté les bases de ce pogrom.
L’inspecteur général de Thrace, Ibrahim Tali Öngören, connu comme un Ittihadiste pendant la Première Guerre mondiale, a joué un rôle pivot dans l’orchestration du pogrom de 1934. Avant la Thrace, il était l’inspecteur général dans les régions kurdes d’Anatolie.
Tali avait fait un tour des villes et villages de Thrace entre le 6 mai et le 7 juin 1934, et avait rédigé le 16 juin 1934, un rapport de 90 pages reprenant la plupart des stéréotypes antisémites. Il expliquait que les Juifs de Thrace dominaient l’économie de la province, soit directement soit indirectement en extorquant des fonds aux propriétaires locaux par des prêts, des crédits ou des partenariats.
Dans la section titrée «Le problème juif en Thrace», Tali se plaint des pertes économiques énormes causées par les officiels corrompus agissant au profit des Juifs.
Le 14 juin 1934, le Parlement turc a adopté la loi 2510 qui impose de ne parler que le turc. Cette loi vise entre autres les Juifs, dont beaucoup sont d’origine espagnole, ayant fui l’Inquisition cinq siècles plus tôt, et qui ont gardé comme langue pour parler entre eux le judéo-espagnol, mélange de vieux castillan et d’Hébreux (ladinos).
L’article 9 de cette loi vise aussi à expulser toutes les minorités non turques des zones frontalières comme la Thrace. Atilhan, que les nazis appelaient «Herr Major», et qui publiait son journal antisémite «Milli Inkilâp» (Révolution nationale) avec le soutien des Allemands, avait annoncé qu’il ne recevrait jamais de publicité de la part d’entreprises juives. De nombreuses pages du journal, étaient remplies d’articles antisémites, écrits par d’infâmes racistes tels que Nihal Atsız.[ii]
Avant le début des pogroms de Thrace, d’abord, des lettres anonymes de menace de mort sont envoyées à des membres éminents de la communauté juive, et des tracts invitent le peuple à boycotter les magasins juifs.
Le 21 juin 1941, les premières manifestations commencent à Çanakkale. En plus du boycott économique, les Juifs maintenant sont sujets à des attaques physiques. Les hommes sont roués de coups et plusieurs femmes violées, les magasins et les habitations sont pillées et saccagées. Des événements identiques se produisent le même jour dans toute la Thrace orientale, à Kırklareli, Edirne, Tekirdağ, Uzunköprü, Silivri, Babaeski, Lüleburgaz, Çorlu et Lapseki, ainsi que dans quelques petites villes de l’ouest de la région égéenne.
Cette simultanéité implique que ces manifestations n’ont pas été spontanées ni d’origine populaire, mais bien préparées au niveau régional. Il faut aussi noter que le gouverneur de Kırklareli et celui de Çanakkale avaient quitté leurs villes et se trouvaient «en vacances». Il semble aussi que des instructions strictes aient été données de ne pas provoquer de morts, ce qui aurait pu avoir de conséquences internationales. À l’apogée de la violence, un rabbin aurait été promené nu dans la rue, tandis que sa fille se faisait violer. Les troubles vont perdurer jusqu’au 4 juillet.
La population juive de Thrace orientale avant ces événements était estimée entre 13000 et 15000. D’après les estimations officielles, environ 3000 réfugiés, soit environ un quart de la population juive du territoire, fuient la région, mais il semble que ce nombre ait été beaucoup plus élevé; certains s’installent à Istanbul, d’autres en Bulgarie et un autre groupe partira pour la Palestine. Plusieurs autres incidents racistes à l’égard des Juifs s’étaient déjà produits auparavant en Turquie, et se reproduiront par la suite, mais ceux de 1934 sont les premiers pogroms qui se produisent sous la république.
Impôt inique sur la fortune (Varlik Vergisi) en 1942[iii], et l’enrôlement forcé dans l’armée (imposé aux minorités non musulmanes) pendant la Seconde Guerre mondiale rendraient la vie de ces minorités encore plus difficile. La plupart des juifs seraient obligés de migrer à l’étranger et, en 1947, vers l’État nouvellement établi d’Israël.
 
Source – https://www.info-turk.be
 
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21 juin 2020


[i] Cf. « Livre blanc – Europe-Turquie : un enjeu décisif », Sigest, 2005.
[ii] Ibid.
[iii] Ibid.