Aliev veut-il la guerre ?

par | Nov 15, 2014 | Archives, Éditorial

Aliev veut-il la guerre ?
Par Varoujan Sirapian
Éditorial – Europe et Orient n°19
15.11.2014
Mercredi, le 12 novembre 2014, les forces armées azéries ont abattu un hélicoptère de l’armée de la République du Karabagh, qui effectuait un vol
d’entraînement à proximité de la Ligne de Contact entre le Karabagh et l’Azerbaïdjan. L’hélicoptère est tombé sur le
territoire du Karabagh, près d’Agdam. Alors que les Karabaghtsi voulaient secourir les trois militaires passagers de l’hélicoptère, dont l’un semblait encore
vivant, les Azéris les ont empêchés par des tirs d’armes automatiques.
Lors des incidents du mois d’août, lorsque des Azéris voulurent pénétrer le territoire du Karabagh et qu’ils furent repoussés par les
Arméniens, il y eut au total une vingtaine de morts de part et d’autre, suscitant ainsi une certaine tension dans la région.
La dernière réunion en octobre à Paris entre les deux présidents, Serge Sargsian et Ilham Aliev à l’invitation du président François Hollande
n’avait abouti à rien. Depuis des années le discours belliqueux d’Aliev, qui à chaque occasion déclare que l’Azerbaïdjan reprendra le Karabagh par la force,
n’a malheureusement pas rencontré une véritable protestation de la part des représentants du Groupe de Minsk, co-présidé par la Russie, les États-Unis et
la France. 
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L’Arménie et le Haut-Karabagh
 Ce dernier incident est un véritable acte de guerre. L’hélicoptère de l’armée du Karabagh abattu n’était pas armé et participait à des manœuvres communes d’entraînement avec l’armée de la République d’Arménie. Les calculs des spécialistes qui ont visionné une vidéo montrant l’impact du missile puis la chute de l’hélicoptère ont permis d’établir grâce à la vitesse du missile ayant abattu l’hélicoptère, le laps du temps entre l’impact et la perception du son de l’explosion que l’hélicoptère était environ à 2 km à l’intérieur du territoire du Karabagh, en prenant pour point de référence la Ligne de Contact entre Karabagh et Azerbaïdjan.
Sans attendre le résultat de l’enquête, le ministère de la Défense azéri a publié un communiqué prétendant que « l’hélicoptère attaquait des positions azéries ». Sans perdre de temps, les autorités azéries ont aussitôt décoré le militaire ayant abattu l’hélicoptère. Cela rappelle de mauvais souvenirs aux Arméniens quand, en août 2012, le président azéri Aliev après avoir obtenu l’extradition, avait accueilli comme un héros et décoré R. Safarov, le meurtrier à la hache d’un militaire arménien dans son sommeil.
Mais le pire c’est la passivité des politiques. Le communiqué insipide et laconique publié par le Groupe de Minsk après ce dernier incident du 12 novembre – un authentique acte de guerre – au cours duquel trois militaires arméniens ont perdu la vie, est un exemple de langue de bois diplomatique :
« Les Co-présidents de Groupe de Minsk, les Ambassadeurs Igor Popov de la Fédération de Russie, James Warlick des États-Unis et Pierre Andrieu de la France, expriment leur sérieuse préoccupation concernant l’hélicoptère abattu près de la Ligne de Contact et les violences récentes. Nous regrettons les pertes de vie et exprimons nos condoléances aux familles », dit la déclaration de Groupe de Minsk.
Remarquez que ni le nom d’Azerbaïdjan ni le nom du Karabagh ne sont cités dans cette phrase. Le lecteur lambda ne saura pas de quelle Ligne de Contact on parle. On ne sait pas non plus qui est l’agresseur et qui est la victime. Quant aux « préoccupations sérieuses » les familles des victimes n’en ont cure.
Poursuivons : « … Nous faisons fortement appel aux deux côtés pour éviter les comportements qui intensifieraient la tension le long de la Ligne de Contact et la Frontière d’Arménie-Azerbaïdjan… »
Le lecteur non spécialiste aura l’impression que les deux côtés sont responsables de l’accroissement de la tension. Or depuis 1994, date de la signature de cessez-le-feu entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, l’agresseur a été toujours l’Azerbaïdjan, le Karabagh ne faisant que se défendre et répondre aux provocations.
« Nous rappelons aux Présidents de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan leurs responsabilités quant au respect du cessez-le-feu afin d’honorer les engagements qu’ils ont pris à Sotchi, Newport et Paris en vue de trouver une résolution pacifique au conflit. […] », conclut la déclaration.
Ce rappel devrait s’adresser uniquement à M. Ilham Aliev. À moins d’être hermétiques aux médias et aux réseaux sociaux, les co-présidents du groupe de Minsk ne peuvent pas ne pas connaître les déclarations répétitives et belliqueuses du président azéri de ces dernières années. Sans parler du discours de la haine, dispensé jusqu’à dans les écoles azéries, destiné à formater, dès le plus jeune âge, les nouvelles générations avec une mentalité
antiarménienne. Comme cela se fait en Turquie, dit au passage.
Quelles sont les vraies raisons du discours de plus en plus agressif et des actes de provocation de plus en plus fréquents du président azéri ?
Si on analyse de près la situation de l’Azerbaïdjan on s’aperçoit que le régime dictatorial du clan Aliev, à la tête du pays depuis plus de 40 ans, est à bout de souffle.
D’abord en raison de la personnalité d’Ilham Aliev. Il n’a jamais eu véritablement l’étoffe d’un homme d’État comme l’était son père Haydar Aliev, ex-KGB, membre du Politburo sous Brejnev et vice-premier ministre de l’URSS sous Andropov. Ilham, fils à papa vivant la vie d’un playboy, a tout simplement hérité de la présidence du pays sans être vraiment préparé à son rôle de dirigeant.
Ensuite à cause de l’économie azerbaïdjanaise qui est fortement dépendante de ses exportations pétrolières. Or depuis 2010, année où les exportations ont atteint son niveau maximum, la courbe s’est inversée et les revenus sont maintenant en diminution constante. D’une part comme conséquence de la baisse de la production de brut et d’autre part, de la baisse du prix du baril au niveau mondial. Certes il y a aussi le gaz naturel, mais celui-ci
n’est pas aussi rentable que le pétrole. De plus la richesse du pays ne bénéficie pas vraiment à la population. Les somptueux édifices et les palaces ne doivent pas cacher la misère délibérément imposée à la population, notamment aux réfugiés de la guerre de 1993 qui survivent depuis vingt ans dans des conditions inadmissibles.
Enfin la société civile qui, malgré une répression féroce, essaye de s’opposer au régime et de faire entendre sa voix. Malheureusement en Europe et particulièrement en France, la « diplomatie du caviar » aidant, certains politiques (principalement les députés et sénateurs membres des groupes d’amitiés France-Azerbaïdjan), ainsi que les médias officiels, se taisent honteusement sur les internements injustifiés et mauvais traitements infligés aux défenseurs des Droits de l’homme et de l’État de droit, comme Leyla Younous ou le journaliste Seymour Khaziyev pour ne donner que deux exemples. 
Ilham Aliev se sent finalement coincé et essaye de garder un semblant d’unité à l’intérieur de son pays en se focalisant sur un ennemi extérieur, le Karabagh. Adversaire sur lequel il peut tout à loisir concentrer ses attaques verbales et physiques.
L’Azerbaïdjan, dont le seul budget militaire dépasse le budget de l’Arménie tout entière, aurait tort de croire que des armes ultra modernes et des drones suffiront pour acquérir la supériorité au plan militaire sur les Arméniens. Le facteur humain joue plus que les armes pour gagner une guerre, comme ce fut le cas en 1992-1994. Les Arméniens, hommes, femmes, jeunes et moins jeunes, défendront bec et ongles leurs terres. Mes contacts personnels avec la population et les dirigeants du Karabagh m’ont convaincu de ce fait.
En face, les soldats azéris seront-ils motivés pour défendre les acquis du seul clan Aliev ? Avant de jouer le Dr Folamour au Caucase, le président azéri devrait se poser la question de savoir si le déclenchement d’une guerre lui permettrait de gagner des territoires ou au contraire d’en perdre davantage ?! Il devrait méditer la leçon de la guerre de 1993 qui a fait 30 000 morts et 750 000 réfugiés. Par ailleurs l’Arménie étant membre de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC)[1], l’Azerbaïdjan devrait faire attention à ne pas trop aller à contresens de l’alliance qui unit et protège ses États membres.
En réalité les deux pays jouent contre la montre. L’Arménie et le Karabagh doivent soutenir leur population malgré la situation économique difficile créée par un double blocus à ses frontières : l’un à l’Ouest par la Turquie, l’autre à l’Est par l’Azerbaïdjan. Il suffira cependant pour l’Arménie et le petit Karabagh de résister encore une quinzaine d’années. Car à partir de 2030 les ressources pétrolière et gazière de l’Azerbaïdjan vont se
tarir. Alors ses alliés d’aujourd’hui, en Europe et au Proche-Orient, n’auront plus intérêt à le soutenir et le roi sera nu.
Pour la paix dans la région, le président azéri doit abandonner son discours menaçant, en finir avec une éducation de la jeunesse basée sur l’arménophobie et utiliser la richesse de son pays pour le bien-être de son peuple au lieu de la dilapider dans de dispendieux, inutiles et dangereux budgets militaires.
L’Arménie n’a cependant pas intérêt à s’engager dans une surenchère suite à cette agression. Ce n’est certainement pas un hasard si le Président Sargsian, qui connaît bien « l’Art de la guerre » du Chinois Sun Tzu, a profité de ce dernier incident pour effectuer, au lendemain de l’incident, une visite éclair au Karabagh, accueilli par Bako Sahakian, président du Karabagh, tous deux en treillis. Visite très symbolique à bord d’un hélicoptère militaire qui a atterri à l’aéroport de Stepanakert pour l’heure inutilisé parce que le despote de Bakou a menacé d’abattre tout avion, même ceux de ligne ! Cela pourrait donc être également une occasion propice pour rouvrir la ligne commerciale aérienne reliant Yerevan à Stepanakert. Il faudrait aussi mettre le Groupe de Minsk devant ses responsabilités en montrant du doigt le grossier non-respect des engagements pris par l’Azerbaïdjan afin de l’isoler un peu plus sur la scène internationale. Comme l’a dit le président Serge Sargsian : « Rien n’est oublié et le temps des dédommagements viendra ». 

 


[1] Russie, la Biélorussie, l’Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, et le Tadjikistan.