J.-C. Buisson, membre d’honneur de l’Institut Tchobanian
Le 20 mai 2021, lors d’une cérémonie intime, la médaille de membre d’honneur de l’Institut Tchobanian a été conférée à Jean-Christophe Buisson, (directeur adjoint de la rédaction du Figaro Magazine) par Jean V. Sirapian, le président-fondateur de l’Institut, en présence de S. E. Madame Hasmik Tolmajian, l’ambassadrice de l’Arménie, de la sénatrice Valérie Boyer, Henry Cuny président d’honneur de l’Institut, ancien ambassadeur, Anne-Laure Bonnel, la réalisatrice du film “Silence dans le Haut Karabagh”…
Discours de J.V. Sirapian :
Il y a 125 ans le poète patriote Archag Tchobanian a été envoyé par la Délégation nationale arménienne de Constantinople à Paris pour informer les puissances des massacres des Arméniens par le sultan Abdulhamid. C’est ainsi que Tchobanian a initié le Mouvement arménophile en France en fédérant autour de lui des noms prestigieux comme Anatole France, Pierre Quillard, Antoine Meillet, Jaurès, Clemenceau, Jacques de Morgan, Séverine… la liste est longue, et qui ont pris leurs plumes pour dire la vérité sur ces massacres passés sous silence par la presse française, pire, publiant des articles calomnieux écrits par Pierre Loti, Claude Farrère ou Pierre Benoit, déformant les faits et montrant les Arméniens comme les agresseurs et présentant les Turcs comme de pauvres victimes. Tout ceci dans un silence de la diplomatie française qui, malgré les rapports alarmants de l’ambassadeur Paul Cambon, minimisait les faits en les réduisant à de simples confrontations entre deux communautés, qui, rappelons-le, a fait tout de même 300 000 morts chez les Arméniens entre 1894 et 1896. C’était un prélude au génocide de 1915-1922.
Force est de constater qu’un siècle après les choses n’ont malheureusement pas changé comme l’a montré la récente guerre d’Artsakh qui a fait des milliers de morts surtout des jeunes.
Vous êtes, cher Jean-Christophe, l’une des rares voix médiatiques qui nous ont aidés, nous les défenseurs de la cause arménienne, à combattre la conspiration du silence, comme le font d’autres dans le champ politique, à l’instar de la sénatrice Valérie Boyer ici présente.
Je vous remercie Cher Jean-Christophe, au nom de l’Institut Tchobanian, pour vos articles dans Le Figaro magazine et vos communiqués sur les réseaux sociaux pendant la guerre d’Artsakh, messages et rapports qui comblaient le silence assourdissant des médias français pendant au moins les quinze premiers jours de cette agression à deux tranchants ; le panturkisme et l’islamisme, envers un peuple qui ne demandait que la Paix. Vous faites partie désormais du cercle des arménophiles. Sur ma proposition le conseil d’administration de l’Institut Tchobanian a décidé de vous conférer le Certificat et médaille de membre d’honneur que je suis heureux de vous remettre, ainsi qu’un souvenir, produit de l’artisanat arménien.
Photo ci-contre : J.C. Buisson, J.V. Sirapian et S.E.M. Hasmik Tolmajian
Photo ci-contre : Henry Cuny lors de son discours
Cher Jean-Christophe,
Comme vous sans doute, je découvre aujourd’hui qu’il y a une médaille d’honneur de l’Institut Tchobanian et je me suis interrogé sur le sens que Tchobanian lui-même donnait à ce mot : l’honneur. Et je me suis aperçu qu’il l’accordait très précisément aux circonstances qui nous réunissent, à savoir l’honneur de ceux, rares à l’époque et bien discrets aujourd’hui, qui prenaient à cœur de défendre la cause arménienne face aux massacres d’Hamid le rouge et au génocide qui suivit. A l’occasion des 80 ans d’Anatole France qui fut l’un des plus engagés dans la dénonciation de ces horreurs, Tchobanian lui écrit ces mots, datés du 16 avril 1924 : « La noble amitié que vous avez accordée à l’Arménie et à sa cause est une des œuvres les plus humaines de votre magnifique existence, et un des grands honneurs, un des plus précieux réconforts que notre nation, trahie par les politiciens, reçut de l’élite intellectuelle de l’humanité. Votre nom sera toujours affectueusement béni et vénéré par notre peuple. »
Cette lettre, d’une certaine manière, c’est à vous qu’elle s’adresse aujourd’hui, puisque à nouveau victime d’une volonté proclamée de « nettoyage ethnique » et d’éradication de (je cite) « ces chiens d’Arméniens » de leurs terres ancestrales, l’Arménie pleure ses morts, prise en étau entre des voisins dont les dirigeants n’ont à offrir à leurs peuples, faute des droits élémentaires, que le défoulement de la haine et la curée des massacres. D’une certaine manière, nous sommes toujours au siècle de Tchobanian. Et vous avez été, à travers vos témoignages et l’attention que vous avez portée au dernier conflit, ce noble ami de l’Arménie.
Lors de ma mission en Arménie j’ai toujours senti combien cette notion d’honneur était fondamentale chez ceux que j’ai rencontrés. En Arménie on honore le travail comme on honore les jeunes filles ; on honore les parents, la famille, comme on honore les études : car l’honneur est un tout, il ne se dissèque pas, il est le résumé d’une vie. En disant cela, je pense avec une profonde tristesse aux onze étudiants que pleure notre université française, qui ont tout laissé – parents, fiancée, perspectives du brillant avenir promis par le diplôme de l’UFAR. – pour défendre leur pays et la mémoire de tous ces morts qu’Archag Tchobanian ne voulait pas qu’on oublie.
Entre 1918 et 1929 Tchobanian avait publié trois volumes intitulés « La Roseraie d’Arménie », une anthologie de la poésie et de la culture arménienne. Il l’a enrichie d’une riche iconographie ; églises, reproduction de manuscrits anciens, khatchkars (ces stèles funéraires où se mêlent la Croix et un soleil d’éternité). Nos étudiants comme vous-même, cher Christophe, êtes les continuateurs de cette Roseraie en replaçant l’Arménie à la place qu’elle mérite et en chassant, selon les mots de Tchobanian, « les lourdes brumes d’une dure servitude séculaire ». Merci d’avoir ajouté votre rose.