Avec les résultats des élections partielles de Gyumri et Parakar du 30 mars 2025, la République d’Arménie connaît une crise de confiance majeure. Il est surprenant qu’aucune force de l’opposition parlementaire, ni l‘alliance Armenia, ni le parti I Have Honor, ni la Fédération Révolutionnaire Arménienne, ne soit représentée, consciente désormais qu’elle n’est plus écoutée par l’opinion publique. Le deuxième trait distinctif important de ces élections concerne le parti Contrat civil, dirigé par le Premier ministre, qui a recueilli 36% des voix, ce qui lui permet d’occuper la première place, mais reste insuffisant pour gouverner seul la ville, montrant ainsi une baisse de sa popularité.
Pour rompre avec l’état de méfiance et renouer avec la fluidité entre le pouvoir et la société, il est urgent d’identifier la mère de toutes les priorités : la construction de la maison Arménie de l’intérieur, l’édification de l’État arménien souverain qui incarne la priorité qui compte et devrait compter le plus.
La priorité n’est pas la reconnaissance du génocide ; la priorité n’est pas le rôle de l’Église apostolique arménienne ; la priorité n’est pas le changement de pouvoir à Erevan ; la priorité n’est pas le sort du groupe de Minsk, ni la question de l’Artsakh ; la priorité n’est pas les relations avec la Russie ou l’Union européenne, la priorité n’est pas les sanctions contre l’Azerbaïdjan, aussi importantes ou pertinentes que soient ces questions ou qu’elles soient interprétées comme telles.
Au vu des véritables défis et menaces auxquels la République d’Arménie et ses trois millions d’habitants sont confrontés, la priorité doit être de reconstruire la maison arménienne, l’État d’Arménie, de l’intérieur, en changeant sa culture professionnelle et politique.
La résolution des problèmes énumérés ci-dessus doit commencer par une nouvelle fondation pour la maison arménienne, la République d’Arménie : une nouvelle Constitution pour créer un système politique arménien, et non pas post-soviétique ; une nouvelle Constitution pour redéfinir les institutions qui distingueront l’État du régime ; une politique réellement ambitieuse dans les domaines de l’éducation, de la sécurité et du développement économique pour restaurer le marché arménien afin de le rendre attractif et pour consolider la vie sociale, économique et culturelle afin d’améliorer la vie quotidienne de ses habitants et de leur permettre de vivre dans ce pays.
La paix ne peut être atteinte sans le renforcement des structures de l’État de manière à imprégner l’ensemble du tissu social et politique national. La maison de l’Arménie brûle et les Arméniens regardent encore ailleurs. Il est encore temps d’éteindre l’incendie, à condition que tous les acteurs arméniens se retroussent les manches et fassent de la construction de l’État la mère de toutes les batailles.
Maintenir l’éducation au premier rang de nos priorités
Pour aider les Arméniens à reconstruire rapidement leur pays, nous devons les aider à mettre en œuvre les meilleurs programmes éducatifs susceptibles d’apporter le progrès dans les villes de Gyumri et d’Erevan comme dans les plus petits villages. Nous devons aider le peuple à apprendre les nouvelles technologies, les sciences humaines, la sociologie, l’administration de l’Etat, ainsi que les techniques agricoles ; nous devons les aider à apprendre à installer l’électricité et les systèmes de chauffage solaire de l’eau sur les toits des maisons et des structures agricoles. Ces programmes permettront au peuple arménien de se rapprocher de la maîtrise de son destin. Comme l’ont fait nos parents en quittant le statut de réfugié créé à la suite de leur exode après le génocide. Ces camps de réfugiés ont survécu jusqu’en 1965 et sont entrés dans l’histoire jusqu’en 1965 environ, date à laquelle ces réfugiés ont envoyé leurs enfants étudier dans des écoles ou des universités occidentales. Ceux-ci sont devenus de solides professionnels et de bons citoyens.
Après la chute du « rideau de fer » en 1991, la présence d’établissements étrangers en Arménie a contribué au développement d’un bon nombre d’ingénieurs, de scientifiques et de cadres ; mais beaucoup d’entre eux ont fini par s’expatrier. Il est urgent qu’ils reviennent enrichis de leurs expériences, des contacts précieux et des réseaux qu’ils ont acquis à l’étranger. Les professionnels arméniens de la diaspora ont également beaucoup à apporter ; après avoir appris à écouter et à respecter la sagesse de la population locale, ils s’adapteront aux conditions locales et partageront leur savoir-faire pratique.
Le changement est l’une des conditions les plus difficiles que l’être humain doit adopter s’il veut progresser. Sans changement, qui comporte aussi des risques, il n’y a pas de progrès ni de réussite. La différence entre l’Arménie et Israël est que la première est partie d’une culture et de pratiques soviétiques profondément enracinées, tandis que la seconde avait une feuille blanche à remplir. On peut comparer cela aux anciennes et grandes entreprises d’informatique qui ont disparu au cours des dernières décennies pour être remplacées par des entreprises innovantes comme Apple. Les logiciels propriétaires ont été remplacés par les systèmes d’exploitation de Microsoft et d’autres, disponibles en sources ouvertes.
Cela signifie-t-il que les temps anciens n’étaient pas bons ? Bien sûr que non – souvenons-nous de Youri Gagarine, le premier être humain à avoir volé dans l’espace dans le cadre d’un programme soviétique, et de Victor Hambardzumyan, l’un des fondateurs des théories astrophysiques développées à l’observatoire de Byurakan, après avoir étudié à Leningrad.
Mais les temps changent. Il n’est pas nécessaire de se réfugier dans la nostalgie du passé. Cette époque est révolue ; le temps présent est difficile à vivre, mais nous avons le devoir de penser et de construire l’avenir de nos petits-enfants, ceux de notre Arménie bien-aimée.
Source :
Traduit de l’anglais par Jean Dorian
(Robert Aydabirian, de Paris, France, est membre du conseil d’administration de l’API (Armenia Peace Initiative) et membre actif de l’Himnadram franco-arménien. La version complète de l’article ci-dessus a été publiée en français dans la revue « Europe&Orient » n°40 de juin 2025).