Erdogan et les réfugiés syriens

par | 2 Avr 2016 | Tribunes libres

Erdogan et les réfugiés syriens et le nettoyage ethinique

Depuis le 26 mars 2016, les habitants du quartier Terolar de la commune de Sivricehöyük (Pazarcik) sont mobilisés contre l’installation d’un « camp de réfugiés syriens » (27 000 personnes) décrété par le pouvoir AKP. Les habitants sont majoritairement des Alévis kurdes et ont peur de voir s’installer des centres de recrutements djihadistes à deux pas de leurs maisons, comme cela a été le cas dans la province de Hatay où les alaouites arabophones se plaignent depuis des années maintenant des pressions et menaces qu’ils subissent de la part des « réfugiés syriens ».

Le camp occupera à terme 37 ha de pâturages utilisés par les paysans alévis. Les travaux du chantier ont débuté le 31 mars, malgré une vaste protestation populaire regroupée dans « Maraş Yaşam Platformu », soutenue par de nombreuses organisations alévies, et des partis politiques. Les manifestations pacifiques ont été violemment réprimées par les forces de police turques et un vieil alévi de 82 ans, Ali Kayabel, est décédé suite à une insuffisance respiratoire causée par l’utilisation massive de gaz lacrymogène.

 

Très vite les journaux turcs pro-Erdogan ont vilipendé les Alévis, les accusant de ne pas vouloir accueillir des réfugiés syriens. Les habitants sont soucieux de préserver leur mode de vie libéral, de ne pas être soumis à de nouvelles pressions religieuses et surtout craignent à juste titre de voir des djihadistes s’installer près de leur village. Les Alévis kurdes de cette région de Maraş et Pazarcik ont été victimes en 1978 de massacres abominables de la part de leurs « voisins » musulmans sunnites.

Les massacres de 1978

La politique officielle de la Turquie depuis le plan « Şark Islahat » de 1924 qui vise à turquiser et islamiser toute population résidant en Turquie vise alors à créer des tensions dans les zones où vivent des minorités alévies. Dès 1967, un plan est mis en place à Elbistan (Maraş) et vise directement les Alévis kurdes. Les mêmes attaques surviennent en 1968 à Hekimhan (Malatya).  En 1975 à Malatya-Akçadag et en 1976 à Pazarcik, les attaques sont davantage planifiées encore. Ces attaques peuvent se résumer à ce slogan : « Attaque, tue, blesse et accuse ». Par ailleurs, les populations victimes d’attaques sont nommées responsables et sont donc jugées.

Dans le même temps, le clergé musulman sunnite est utilisé à travers une propagande du type :« Alévis et musulmans sont des ennemis » « les Alévis sont des athées » « ou « quand un musulman tue un Alévi il va au paradis ».

C’est dans ce contexte que se déroule le massacre de la population alévie de Maraş. Soutenu par les services secrets turcs (MIT) et les sinistres Loups Gris du MHP (Parti d’Action Nationaliste), le maire kémaliste CHP de la ville organise une réunion afin de « donner une leçon aux révolutionnaires, Kurdes et Alévis » en fermant leurs associations (TÖB-DER et POL-DER). De plus, il est affirmé qu’un représentant de l’ambassadeur des États-Unis serait venu quelques jours avant le massacre de Maraş pour s’entretenir avec certaines personnes et organisations. La mairie de Maraş effectue alors un travail de fichage, peint une croix rouge sur les maisons et les entreprises des Alévis afin de les identifier plus facilement. 

Quelques jours plus tard, des centaines de personnes se présentant comme vendeurs ambulants de tickets de loterie sont amenées dans la ville par la mairie CHP. Le massacre du nom de code « le dernier jour des Alévis » se déroule du 19 au 25 décembre 1978, des centaines de personnes sont mutilées et décimées. 15 000 personnes attaquent sauvagement tous ceux qu’ils rencontrent. Les haut-parleurs de la mairie diffusent des messages de haine, racistes et provocants. Les maisons des Alévis kurdes marquées au préalable à la peinture rouge sont attaquées sous le slogan « Tuons les Alévis et nettoyons le pays ». 6 jours de barbarie : 131 morts, 210 maisons et 70 entreprises brûlées selon l’État turc. 500 morts/1000 blessés, 552 maisons et 289 entreprises brûlées selon les associations alévies.

De nombreux rapports sur des camps existants (comme dans la province de Hatay) démontrent la présence massive des djihadistes et de leurs familles mis à l’abri, soignés et payés par le gouvernement turc. Des amis alévis de Gaziantep ou de Adiyaman nous racontent chaque jour les pressions et les menaces qu’ils subissent de la part de « réfugiés syriens » barbus et en uniformes.

Voilà à quoi va servir l’utilisation des « fonds européens » à la Turquie, 6 Milliards pour le nettoyage ethnique. Loin de dissiper les inquiétudes, le gouvernement turc vient d’annoncer que des camps similaires seront bientôt en chantier à Divriği, İmranlı, Dara, Zara, Hafik ve Yıldızeli dans la province de Sivas, là encore des zones de peuplement de la communauté alévie.

Erdogan après avoir utilisé les mercenaires djihadistes pour le nettoyage ethnique en Syrie contre les chrétiens et les alaouites, va les utiliser maintenant contre les Alévis en Turquie.

 

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