Implications du conflit Iran-Israël pour l’Arménie

par | 19 Juin 2025 | Tribunes libres

Le 13 juin, Israël a lancé une série de frappes aériennes contre l’Iran, dans le cadre de l’opération « Lion levant ». Ce recours direct à la force a marqué une sérieuse escalade dans les relations tendues entre les deux pays, les amenant à mener des frappes aériennes l’un contre l’autre depuis plus de quelques jours. Au 18 juin, Israël avait lancé plus de 400 missiles balistiques et des centaines de drones. Le gouvernement israélien affirme qu’il s’agit d’une frappe « préventive », destinée à répondre à une menace immédiate et inévitable, car « Téhéran avait déjà la capacité de fabriquer neuf bombes nucléaires ». Israël a réussi à frapper plus de 100 cibles majeures en Iran, y compris des installations nucléaires (le site nucléaire de Natanz et le centre de recherche nucléaire d’Ispahan) et a tué de nombreux commandants militaires et scientifiques de haut rang.

 

L’escalade a suivi le rapport de l’organe de surveillance nucléaire des Nations unies, selon lequel « l’Iran a encore augmenté son stock d’uranium enrichi à des niveaux proches de ceux des armes ». Simultanément, l’administration Trump tentait de parvenir à un accord de paix avec l’Iran, mais en vain après quelques cycles de négociations. Dans son média social Truth, Trump a déclaré qu’il lui avait donné un ultimatum de 60 jours pour conclure un accord, et, peut-être pas par coïncidence, le jour de l’attaque était le 61e jour.

Bien que le gouvernement américain nie toute implication directe dans l’attaque, il a vivement recommandé à l’Iran de ne prendre aucune mesure à l’encontre des forces armées américaines, son président déclarant : « La force et la puissance des forces armées américaines s’abattront sur vous à des niveaux jamais vus auparavant ». Les dirigeants du G7 ont également exprimé leur soutien à Israël dans une déclaration affirmant qu' »Israël a le droit de se défendre ». Jusqu’à présent, la rhétorique de toutes les parties a été assez forte, l’Iran promettant à son tour « une grande surprise – une surprise dont le monde se souviendra pendant des siècles » et le président américain exhortant l’Iran à accepter « une capitulation inconditionnelle ».

L’Arménie fait partie des pays touchés par ce conflit. Pour l’Arménie, il s’agit de nombreux défis affectant sa sécurité et son économie, ainsi que des facteurs démographiques. Dans le contexte de ce conflit, l’Azerbaïdjan et la Turquie mènent des exercices militaires dans la région de Nakhijevan, à la frontière de l’Arménie. Selon le service de presse du ministère azerbaïdjanais de la Défense, « des unités de chars, mécanisées et de sabotage effectueront diverses tâches d’entraînement au combat avec le soutien de l’artillerie, des unités de défense aérienne et de l’aviation ». Cette situation est particulièrement alarmante si l’on tient compte du fait qu’entre juillet et août 2020, juste avant que l’Azerbaïdjan ne lance une guerre à grande échelle contre l’Artsakh et l’Arménie, il a également mené des exercices conjoints avec la Turquie dans la région de Nakhijevan.

En outre, l’Azerbaïdjan continue de soulever la question du « corridor de Zangezur ». Hikmet Hajiyev, assistant du président de l’Azerbaïdjan, a demandé l’ouverture du « corridor de Zangezur » lors du forum GLOBSEC 2025 qui s’est tenu en République tchèque le 14 juin, en réponse à une question sur la proposition de l’Arménie concernant les « carrefours de la paix ». L’Iran, seule grande puissance de la région à s’opposer directement à l’idée de l’ouverture de ce corridor, étant actuellement dans une situation désastreuse, il ne pourra pas s’opposer à cette décision si les autorités arméniennes, l’Azerbaïdjan et la Turquie décident d’ouvrir le corridor, ces deux derniers pays profitant de la situation actuelle dans la région. Par ailleurs, l’ambassade américaine en Arménie a lancé un appel à la prudence en Arménie, notamment en évitant certains lieux liés au gouvernement iranien tels que l’ambassade d’Iran à Erevan, le consulat d’Iran à Syunik, l’Iran Trade Center et la Mosquée bleue.

L’économie arménienne est également confrontée à de graves problèmes. Actuellement, un certain nombre de cargaisons sont immobilisées dans le port de Bandar Abbas, et d’autres restent sur les routes sans pouvoir franchir la frontière. Les problèmes d’exportation et d’importation se posent donc non seulement à destination et en provenance de l’Iran, mais aussi pour les cargaisons qui sont simplement transportées à travers le territoire iranien.

Après la déclaration de Trump selon laquelle « Tout le monde devrait immédiatement évacuer Téhéran ! », de nombreux Iraniens ont fui le pays. L’Arménie, qui a une frontière avec l’Iran, est l’un des pays vers lesquels ils ont choisi de fuir. La région arménienne limitrophe, Syunik, est confrontée à un grave danger, car il est possible qu’un grand nombre de réfugiés turcophones du nord de l’Iran pénètrent dans Syunik. Actuellement, il y a des accumulations massives de camions de marchandises et de personnes à la frontière. Les camions sont garés en rang sur le côté droit de la route sur environ 2 kilomètres. Les Iraniens qui traversent la frontière tentent de se rendre à Erevan, ce qui fait grimper le prix des taxis jusqu’à 350 dollars. Les militaires arméniens travaillant à la frontière ont déclaré que les passages de la frontière entre l’Arménie et l’Iran par des résidents iraniens ont augmenté plusieurs fois depuis le début des opérations militaires.

Si l’on considère la situation d’un point de vue géopolitique, les négociations entre les États-Unis et l’Iran, qui ont effectivement échoué en raison de la guerre entre Israël et l’Iran, auraient sans aucun doute eu des conséquences positives pour l’Arménie si un accord avait été conclu. Il en va de même, bien sûr, pour la normalisation des relations entre les États-Unis et la Russie, qui n’a pas non plus progressé de manière significative. Ces processus sont d’une importance vitale pour l’Arménie. Leur échec – et l’affaiblissement des positions de la Russie et de l’Iran qui en résulte, et par conséquent la diminution de leur influence dans le Caucase du Sud, en particulier dans le contexte de l’attitude passive des États-Unis – perturbe l’équilibre déjà fragile des pouvoirs dans la région. En conséquence, la Turquie devient un acteur de plus en plus influent et puissant dans le Caucase du Sud, capable de promouvoir ses intérêts régionaux par l’intermédiaire de l’Azerbaïdjan. Cela inclut le corridor dit de Zangezur, qui non seulement relierait l’Azerbaïdjan et la Turquie, mais pourrait également servir de lien avec le monde turc au sens large. Si, dans les prochains jours, Trump annonce son intention de se joindre à certaines actions contre l’Iran ou de fournir à Israël une assistance militaire sans précédent, la situation deviendra encore plus compliquée pour l’Arménie.

Source :

Implications of the Iran-Israel Conflict for Armenia

Traduit de l’anglais par Jean Dorian