La fin de l’hégémonie américaine

par | Oct 28, 2020 | Tribunes libres

Les
réalités géopolitiques
affirment la fin de l’hégémonie américaine
et le retour
des nations

 

Jean de La Fontaine dans sa fable « Le loup et
l’agneau » a défini la règle qui ordonne les relations internationales depuis
leur origine :

« La raison du plus fort est toujours la meilleure :

Nous l’allons montrer tout à l’heure.

Un agneau se désaltérait dans le courant d’une onde
pure ;

Un loup survient à jeun, qui cherchait aventure, et que
la faim en ces lieux attirait.

Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?

Dit cet animal plein de rage :

Tu seras châtié de ta témérité. 

… »

C’est hélas la règle qui s’est imposée après la fin de
l’équilibre de la terreur : l’écroulement économique, politique et
militaire de la Russie soviétique, comme l’appelait de Gaulle, laissaient la
place libre au camp occidental vainqueur pour instaurer son hégémonie mondiale,
les États-Unis d’Amérique s’imposant alors comme la nation indispensable,
la nouvelle Jérusalem, porteuse des valeurs du libéralisme absolu ayant défait
le communisme étatique et devant guider le monde vers la liberté et la justice.
Le capitalisme ayant défait le communisme, il devait naturellement s’imposer
comme l’idéologie idéale universelle, quiconque s’y opposant étant considéré
comme un paria maléfique : George Bush junior qualifiant d’axe du mal les pays
réfractaires à cette conception tout aussi matérialiste que le communisme,
proposant toutefois de nouvelles religions au monde, comme la théorie du genre
qui devait, sous différentes formes, porter atteinte aux fondements de la
famille, cellule de base de l’humanité depuis ses origines.

Désormais le droit international devait être décidé par
cette nation atteinte d’une hubris impériale se dissimulant à peine derrière de
fausses apparences comme « la nécessité de protéger » ou « le respect des
droits de l’homme », frappant de sanctions économiques les nombreuses nations
du monde qui ne se soumettaient pas, et même ses alliés qui osaient ne pas
approuver ces mesures.

Nous sommes à la fin de cette ère qui a engendré tant de drames
dans le monde, particulièrement au Moyen-Orient, car le Président élu en 2016 a
compris que son pays n’était plus en mesure de continuer à assurer cette
domination mondiale et qu’il devait prendre en compte la montée en puissance
d’autres nations qui créait inéluctablement un monde multipolaire. Donald Trump
a dû lutter pendant son premier mandat contre les forces réactionnaires qui
refusent de reconnaître cette fin de la suprématie américaine – qu’on a pris
l’habitude d’appeler « l’état profond » parce qu’il dirige en fait la politique
de Washington – mais il semble qu’il a su l’emporter contre elles et que son
deuxième mandat, libéré de ces combats internes, apportera des bouleversements
énormes aux équilibres mondiaux : La Chine et la Russie
doivent être regardées comme puissances influentes incontournables et les
autres puissances dans leurs sillages s’affirment aussi comme souveraines et
maîtresses de leurs destins : ainsi de l’Inde et de nombreuses
autres qui entendent mener leur barque en louvoyant entre les blocs rivaux. À
la tribune de l’ONU, il a déclaré l’année dernière avec une grande lucidité que
l’avenir appartenait aux nations souveraines qui seules pouvaient défendre les
intérêts des peuples, ce qui ne les empêche pas de coopérer avec d’autres. Cette
déclaration est évidemment passée inaperçue en Occident où le « souverainisme »
est caricaturé comme un avatar désuet d’un passé révolu.

Le 16 septembre dernier, lors d’une conférence de
presse à la Maison-Blanche il a fait une nouvelle déclaration révélatrice de sa
vision pragmatique du Nouveau Monde, et de sa conviction d’être réélu pour
adapter son pays à cette nouvelle donne :

« Nous avons tué des centaines de milliers de personnes
au Moyen-Orient. C’est tout – c’est – c’est – je dis toujours, c’est – c’est le
sable le plus sanglant du monde, et il n’était pas nécessaire qu’il en soit
ainsi. La pire décision que notre pays ait jamais prise a été de se rendre au
Moyen-Orient. Pas seulement les millions de personnes tuées – et j’inclus des
gens des deux côtés. Vous savez, certaines personnes disent : « Oh, tu ne
devrais pas dire ça. » Je vais le dire : « des deux côtés ». Une chose si
horrible a été faite. Une erreur si horrible a été commise ».

À nouveau, peu d’échos dans la presse occidentale pour une
telle dénonciation terrible de la politique de son pays.

Son deuxième mandat devrait donc voir l’application des
promesses de sa première campagne, si toutefois il ne se trouvait pas confronté
à une guerre civile que les forces obscures, furieuses de sa réélection,
pourraient susciter dans un pays traversé par des haines raciales exacerbées.

En réalité le centre de gravité du monde a basculé à l’Est,
et comme une guerre nucléaire est impossible entre puissances du fait de la
dissuasion, le Président américain devra trouver des arrangements avec la
première puissance économique mondiale pour garantir les intérêts des États-Unis.

Au Moyen-Orient dont parle le Président américain, d’autres
forces se sont organisées dans un « axe de la Résistance » qui s’est construit
en solidarité contre l’impérialisme. L’Iran et la Syrie ont
manifesté leur résilience, de même que l’Irak, le Yémen, l’Afghanistan,
soutenus ouvertement ou plus discrètement par la Chine et la Russie. Les
évènements tragiques du Liban vont nécessairement manifester cette
résilience face à l’impérialisme, et les menaces américaines ne feront que
renforcer l’attirance pour l’aide amicale venue de l’Est. Syrie et Liban sont
tellement liés sur les plans ethnique, économique et stratégique, que la Russie
désormais incontournable à Damas va le devenir à Beyrouth. Soutenue par la
Chine qui propose son aide économique, et plus discrètement sécuritaire. Dans
ce Moyen-Orient fragilisé par les interventions militaires américaines, la
politique erratique et aberrante de la Turquie d’Erdogan qui poursuit
l’utopie du retour de l’Empire ottoman jusqu’en Asie Centrale turcophone, ne
cessant, dans ce but, d’attiser les conflits en s’appuyant sur l’islamisme le
plus radical, est un facteur déstabilisant dont elle pense tirer avantage en
négociant avec les blocs rivaux. Cette politique va d’échecs en échecs et est
de plus en plus contestée à l’intérieur, mais le Turc croit pouvoir monnayer
son alliance tour à tour aux blocs antagonistes puisqu’ils existent encore. Une
telle politique n’aura évidemment plus sa place dans un monde aux relations
multipolaires apaisées : la Turquie devra nécessairement revenir aux
réalités géopolitiques, ce gouvernement… ou un autre plus raisonnable. 

L’arrogance de l’État d’Israël qui dénie depuis sa
création les droits les plus élémentaires des Palestiniens dont il accapare les
terres, à commencer par celui d’avoir un état, devra nécessairement cesser. En
effet, cette arrogance et cette volonté permanente de s’agrandir aux dépens de
ses voisins arabes ne se pouvaient déployer que sous l’ombrelle et l’aide
financière et militaire américaine. Les nouveaux équilibres mondiaux ne le
permettront plus et les peuples des Emirats et de Bahreïn
pourraient demander des comptes à leurs souverains imprudents d’avoir normalisé
leurs relations avec un état qui ne respecte aucune des résolutions de l’ONU et
opprime leurs coreligionnaires palestiniens.

À cet égard, en étant le soutien principal de la Résistance
palestinienne, l’Iran chiite a étendu son influence dans cette région
stratégique en prenant la défense des déshérités du monde arabe, qu’ils soient
majoritairement chiites ou sunnites. Bien qu’objet perpétuel de l’hostilité des
États-Unis, il n’a jamais été attaqué militairement par eux, malgré les
pressions israéliennes, car ses possibilités de ripostes sont trop grandes pour
que Washington en prenne le risque. Là aussi, il est vraisemblable que le
Président américain cherchera un accommodement pragmatique pour mettre un terme
à des tensions dangereuses qui ne correspondront plus au nouvel ordre mondial.

Ce nouvel ordre mondial devrait se trouver confirmé dans une
nouvelle Organisation des Nations Unies qui montrerait plus de
détermination à défendre la justice et la souveraineté des nations de la
planète, en dénonçant toutes les ingérences qu’elles soient le fait d’états ou d’organismes
non gouvernementaux puissants, nombre d’ONG financées par des milliardaires
participant aujourd’hui aux désordres provoqués par l’impérialisme, préparant
et alimentant des « révolutions de couleur » contre les gouvernements indociles
à l’ordre occidental. Le Conseil de Sécurité devrait entériner le basculement
du barycentre mondial vers l’Est en incluant en son sein des nations qui pèsent
en ce sens.

Car in fine, les ressorts de « l’état profond » s’appuient
sur l’argent, sur l’appât du gain de cette finance internationale basée à la
City de Londres et à Wall Street à New York. En faisant comme en mathématiques
une sorte de calcul différentiel, que l’on dérive les fondements de
l’impérialisme ou qu’on intègre les mini facteurs des crises, on tombe toujours
sur les méfaits de ce pouvoir prédateur apatride qui n’accepte aucune barrière
à son avidité et exige « une concurrence libre et non faussée » entre les États,
comme mentionnée dans les traités fondateurs de l’Union européenne.

Je conclurai par une citation du Général de Gaulle
s’exprimant sur l’avenir du monde devant les universitaires à Mexico en mars
1964 :

« En
effet, par-dessus les distances qui se rétrécissent, les idéologies qui
s’atténuent, les politiques qui s’essoufflent, et à moins que l’humanité
s’anéantisse elle-même un jour dans de monstrueuses destructions, le fait qui
dominera le futur c’est l’unité de notre univers ; une cause, celle de l’homme ;
une nécessité, celle du progrès mondial, et, par conséquent, de l’aide à tous
les pays qui le souhaitent pour leur développement ; un devoir, celui de la
paix, est, pour notre espèce, les conditions mêmes de sa vie. »

 

Alain
Corvez