La lutte internationaliste de Yılmaz Güney

par | 8 Sep 2023 | Tribunes libres

La lutte internationaliste de l’apatride Yılmaz Güney…

 

Figure éminente de la littérature et du cinéma de Turquie, il continuera d’être un exemple pour les futures générations avec sa lutte dans son pays et en exil

 

Nous assisterons, même si c’est de loin, avec un message écrit à la rencontre importante de l’Assemblée européenne des exilés (ASM) dont nous figurons avec fierté parmi les membres-fondateurs.

Yılmaz Güney, dont nous nous souvenons aujourd’hui avec amour, admiration et nostalgie, et moi-même, avons eu un destin parallèle remontant aux années 40, bien avant d’être expulsés de la citoyenneté turque sur ordre de la junte fasciste, en exil après le coup d’État du 12 septembre 1980.

Avec Yılmaz Güney nous sommes du même âge… Il était l’un des deux enfants d’une famille de paysans sans terre d’origine kurde à Adana.

Alors que moi, fils de cheminot, je partageais la pauvreté et la souffrance des paysans de la steppe anatolienne, Yılmaz courait les rues d’Adana à gagner l’argent du pain.

Comme d’innombrables autres personnes de notre âge, ce passé a joué un rôle majeur dans mon choix d’une vie de lutte en tant que journaliste et dans le sien en tant qu’écrivain et cinéaste. Choix qui nous ont conduits à l’exil.

Nous avons connu les conditions difficiles de la période de la Seconde Guerre mondiale et de la période de dictature nationale et de classe qui a suivi, qualifiée de “démocratie”, dans des environnements différents du monde du travail.

Lorsque je travaillais à Sabah Postası, le seul journal d’opposition d’Izmir, ses histoires étaient publiées dans des magazines tels que Yeni Ufuklar, Onüç, Pazar Postası et Bir sous son vrai nom, Yılmaz Pütün.

Des années avant de devenir célèbre dans Yeşil Çam (Hollywood de Turquie), il a été condamné à la prison et à l’exil pour avoir fait de la propagande communiste dans son récit “Systèmes d’inégalité à trois inconnues”.

Après avoir terminé son exil en 1962, il est revenu à Yeşil Çam comme un ouragan, tandis que j’ai émigré d’Izmir à Istanbul pour poursuivre mon travail de journaliste et de militant du Parti des travailleurs de Turquie.

Au début, le thème principal des films qu’il réalisait ou dans lesquels il jouait était la bravade, et c’est pour cette raison que Güney, que l’on a rapidement surnommé le “roi laid”. Mais il est devenu une légende du cinéma turc avec son film intitulé L’Espoir, qui lui a valu le Grand Prix en 1969 à Grenoble.

Visé par les coups d’État du 12 mars et du 12 septembre

Après le coup d’État du 12 mars 1971, Yılmaz Güney a été l’une des figures artistiques visées par la terreur d’État… Il a raconté en détail cette période d’oppression, de torture et d’emprisonnement dans son ouvrage en trois volumes, Trilogie de Selimiye.

L'affiche du film Umut (Hope)

Dans le dernier livre de cette trilogie, Sanık (L’accusé), il décrit également comment Yaşar Yılmaz, l’un des leaders étudiants que j’ai connu de près pendant les jours de résistance après 68, a été soumis à des pressions pendant l’interrogatoire. Selon Güney, ils ont torturé Yaşar Yılmaz à de nombreuses reprises afin de savoir où je me trouvais, moi qui étais en exil à l’époque, et s’il était en contact avec moi.

Oui, à l’époque, nous organisions la lutte pour la résistance démocratique à l’étranger contre le régime de la junte… L’une de nos armes les plus efficaces lors des réunions de résistance que nous organisions dans diverses pays était L’Espoir de Yılmaz Güney.

Après le coup d’État du 12 septembre 1980, lui à Paris et nous à Bruxelles, nous avons partagé la lutte en exil et l’apatridie.

Alors que Yılmaz Güney était encore en prison en Turquie, Le Troupeau, qu’il avait réalisé en Turquie avec Zeki Ökten, a reçu le Grand Prix de l’Association des critiques de cinéma à Bruxelles au début de l’année 1981. Comme Yılmaz était en prison, nous avions fait en sorte que l’actrice principale du film, Melike Demirağ, qui était en exil à l’époque avec son époux Şanar Yurdatapan, assiste à la cérémonie de remise des prix à Bruxelles.

Le colloque organisé aujourd’hui à Paris par l’ASM à l’occasion du 40e anniversaire de la mort de Yılmaz Güney a notamment pour objectif de commémorer tous les progressistes, intellectuels, socialistes et communistes morts ou assassinés en exil.

À cette fin, avant la réunion, Yılmaz Güney et Ahmet Kaya seront commémorés sur leurs tombes au célèbre Père-Lachaise à Paris. Bien que nous ne puissions pas assister à ces cérémonies en personne, İnci et moi-même honorerons et nous souviendrons avec respect et nostalgie de tous nos amis de lutte et des valeurs que nous avons perdues en exil.

Il est regrettable que le sort des progressistes en Turquie, des citoyens qui s’opposent à l’exploitation, à la réaction et à l’oppression nationale, continue d’être l’emprisonnement ou l’exil, même 100 ans après la fondation de la république.

Les objectifs fixés par l’ASM n’ont pas été atteints lors de la dernière élection

Avant les dernières élections présidentielles du 14 mai 2023, l’ASM a demandé «l’adoption d’une loi comprenant le retrait de tous les obstacles aux conditions de retour des exilés, la restitution de leurs droits politiques et juridiques et de leurs biens confisqués, l’abandon des poursuites et procès intentés et la garantie de pouvoir revenir librement et en toute sécurité en Turquie pour tous les opposants, socialistes, progressistes, politiciens, académiciens, écrivains et intellectuels ayant été contraints de vivre en exil, ainsi que la présentation d’excuses officielles pour tous les préjudices et injustices subis».

Malgré la défaite dans les urnes, la lutte sans concession…

Néanmoins, comme je le dis toujours, la lutte de ceux qui ne transigent pas avec leurs convictions et leurs pensées peut être menée de différentes manières n’importe où… Même s’il ne nous est plus possible de retourner en Turquie, nous continuerons à nous battre, dans la mesure de nos forces, pour nos convictions, comme nous le faisons depuis un demi-siècle, au sein d’Info-Türk et des Ateliers du Soleil.

À cette occasion, j’avais participé à une émission de la radio et de la télévision belge RTB pour présenter Yılmaz Güney, sa créativité et son combat.

Après son départ en exil, le film Yol (La Permission), qu’il a réalisé avec Şerif Gören alors qu’il était en prison en Turquie et qui a remporté la Palme d’or au Festival de Cannes avec Missing de Costa Gavras, est devenu l’une des armes les plus efficaces de la lutte antifasciste à l’étranger après le coup d’État du 12 septembre.

source : https://www.info-turk.be
Traduction du turc vers le français : Varoujan Sirapian