L’Arménie reconnaît la Palestine

par | 2 Juil 2024 | Tribunes libres

Il y a quelques jours, l’Arménie a reconnu le statut d’État de la Palestine, devenant ainsi le 143e des 193 États membres des Nations unies à reconnaître son indépendance, rejoignant ainsi des puissances comme la Russie, l’Espagne, la Norvège, la Turquie et la Chine. Que l’on soit d’accord ou non avec cette démarche, il s’agit d’une décision historique. Comme c’est souvent le cas avec les actions du gouvernement arménien, l’annonce de la décision a suscité de nombreuses discussions et spéculations.

 

La nouvelle est venue directement du ministère arménien des affaires étrangères, qui a annoncé la reconnaissance de la Palestine deux jours après l’entretien du premier ministre Nikol Pashinyan avec le président turc Recep Tayyip Erdogan. Ce timing a donné lieu à des spéculations selon lesquelles M. Erdogan aurait incité M. Pashinyan à reconnaître l’indépendance de la Palestine, mettant ainsi le premier ministre arménien sous pression. Quelques heures seulement après la déclaration du ministère arménien des affaires étrangères, le ministère turc des affaires étrangères a salué cette décision du gouvernement arménien, la qualifiant de bonne. Cela a donné lieu à des discussions encore plus approfondies au sein de la société arménienne concernant le « scénario turc mis en œuvre par le gouvernement arménien ». Bien entendu, la réaction d’Israël ne s’est pas fait attendre et s’est surtout apparentée à une menace à l’encontre de l’Arménie concernant cette décision.

Les avis divergent dans les milieux arméniens, certains se félicitant de la décision, d’autres la critiquant. Le politologue Eduard Abrahamyan a affirmé que « le gouvernement arménien n’a pas reconnu l’Artsakh, qui existait et constituait une priorité importante pour l’Arménie, alors qu’Erevan reconnaît quelque chose qui n’existe pas et qui n’est pas du tout une priorité pour la République d’Arménie ». Il s’agit là d’une question de moralité politique. Quel genre d' »État non reconnu » est la Palestine qui s’est réjouie et a félicité Aliyev pour la destruction d’un autre État non reconnu, l’Artsakh ?

Certains, comme le politologue Gevorg Melikyan, affirment que « la reconnaissance de l’État de Palestine par l’Arménie est illogique ». Lui et ce groupe de personnes affirment que « outre les raisons officielles, la décision de l’Arménie découle de la négation par Israël du génocide arménien et de son soutien militaire à l’Azerbaïdjan. Cela soulève des questions sur la stratégie diplomatique de l’Arménie : resserrer les liens avec Israël tout en recherchant des relations plus étroites avec la Turquie, l’auteur du génocide, ainsi qu’avec l’Azerbaïdjan, qui a utilisé des armes contre les civils arméniens/Artsakh sans en subir les conséquences ».

Un autre groupe de personnes, comme l’homme politique Suren Surenyants, a salué cette décision, notant « la justesse de la décision et [qu’] il est raisonnable de réfléchir aux avantages que la non-reconnaissance apporterait à l’Arménie ». Compte tenu de la position antagoniste d’Israël à l’égard de l’Arménie, s’aligner sur les partisans des politiques génocidaires d’Israël est aujourd’hui une honte. Même si la reconnaissance de la Palestine découle de l’appel de Pashinyan-Erdogan, la reconnaissance de la Palestine par l’Arménie semble justifiée ».

Certaines personnes ont débattu du moment choisi pour prendre une décision aussi cruciale, affirmant qu’il aurait été essentiel de reconnaître la Palestine lorsqu’Israël a soutenu l’Azerbaïdjan en lui fournissant des armes lors de la guerre de 2020, contribuant ainsi à sa victoire, ou en aidant Bakou lors de l’agression contre la République d’Artsakh à la suite d’un blocus prolongé en 2023.

Certes, depuis l’indépendance de l’Arménie, la question de la reconnaissance de la Palestine a fait l’objet d’un débat permanent. Cependant, l’Arménie s’est abstenue de franchir ce pas afin de maintenir ses relations avec Israël. Malgré leurs liens diplomatiques, l’Arménie et Israël ont choisi de ne pas installer d’ambassadeurs résidents pour plusieurs raisons. Erevan a pris soin de ne pas tendre davantage ces relations. En outre, Erevan a jugé illogique de reconnaître la Palestine sans d’abord reconnaître l’indépendance de l’Artsakh.

Aujourd’hui, pour saisir correctement la signification de la reconnaissance de l’Arménie, il faut d’abord comprendre les motifs sous-jacents d’une telle décision. Si la Turquie a effectivement fait pression sur l’Arménie pour obtenir cette reconnaissance, cela implique un manque d’avantages pour l’Arménie, sans réciprocité de la part de la Turquie, étant donné sa réticence à faire des concessions unilatérales à l’Arménie. Bien entendu, le moment choisi pour la reconnaissance de la Palestine, après l’appel Erdogan-Pashinyan, soulève des questions quant à son lien avec Erdogan. Que ce soit à tort ou à raison, l’attribution de la décision à Erdogan, même si elle n’est pas fondée, semble glorifier le président turc à cet égard. Même si cette décision découlait du soutien d’Israël à l’Azerbaïdjan et à l’Arménie et visait à promouvoir une position pro-arménienne, la perception du public serait très différente.

Une autre question cruciale est de savoir pourquoi l’Arménie a choisi de reconnaître la Palestine maintenant, compte tenu de la guerre en cours à Gaza. L’Arménie s’oppose non seulement à la position d’Israël, mais aussi à celle de ses alliés, qui non seulement rejettent la Palestine, mais s’alignent sur Israël, comme par exemple les États-Unis. Actuellement, les États-Unis jouent un rôle actif de médiateur dans le Caucase du Sud, engagés dans la réconciliation arméno-turque et arméno-azerbaïdjanaise, et cette décision des autorités d’Erevan va à l’encontre des intérêts américains à cet égard.

Source : https://mirrorspectator.com/2024/06/25/armenia-recognizes-palestine/

 

Traduit de l’anglais par Jean Dorian