Le petit garçon et le chien

par | 19 Mar 2024 | Tribunes libres

À la veille de l’équinoxe de ce 20 mars, dans la torpeur de l’après-midi, mon smartphone vibra. C’était un message venant d’un ami français qui s’intéresse à la situation géopolitique dans le Sud Caucase :

« L’Arménie a accepté de transférer quatre villages contestés vers l’Azerbaïdjan dans le cadre de la démarcation et de la démilitarisation de la frontière.

Bakou et Erevan ont convenu de commencer la démarcation et la démilitarisation des frontières au niveau des ministres des Affaires étrangères. Il est désormais nécessaire de créer deux groupes de travail des deux côtés et d’élaborer un document final de grande envergure.

Après sa mise en œuvre, Erevan transfère le contrôle des villages à Bakou. La question du corridor de Zangezur sera discutée séparément et au niveau des négociations multilatérales basées sur l’UE et les États-Unis. »

 

La mémoire est un processus complexe. Je ne sais pas pourquoi, ce message a réveillé le souvenir d’un épisode vécu quand j’avais environ 12 ans…

Cela se passait à Bomonti, dans un quartier du district de Sisli, à Istanbul. Ma famille avait pensé que j’étais assez grand pour aller seul de notre maison à mon école Mekhitaryan qui se trouvait à 20 minutes environ à pied. Tous les jours ma maman préparait une gamelle de trois étages contenant mon repas du midi à l’école. Ce jour-là elle avait préparé mon repas préféré : saucisses, pommes de terre frites et une pomme.

Parti de chez moi et arrivé à la rue principale de notre quartier qui jouxtait la brasserie de bière, j’ai commencé à remonter la pente. Au bout de quelques pas, j’ai senti une présence derrière moi, un halètement… Je me suis arrêté et retourné pour voir. Un grand chien qui me suivait s’est arrêté en me fixant de ses yeux, pas très amicaux. Ayant une peur bleue des chiens j’ai commencé à paniquer. Je ne savais pas s’il fallait lui faire peur ou l’ignorer. Finalement j’optais pour la seconde version et je continuais ma route, mais le chien, probablement encouragé par manque de réaction, se rapprochait de plus en plus, certainement alléché par l’odeur des saucisses.

Pris de panique j’ai décidé de « négocier ». Je me suis arrêté et ouvert le bac qui contenait les saucisses. Il y en avait quatre. J’en ai sorti une, j’ai refermé le bac et j’ai lancé la saucisse, derrière le chien, le plus loin possible. L’idée était de m’éloigner autant que possible, le temps que le chien aille chercher son appât et de le manger. J’ai en effet gagné une cinquantaine de mètres, mais le chien ayant ingurgité son « repas » a couru et me rattrapa assez facilement. Ce scénario se répéta plusieurs fois. Ayant terminé avec les saucisses j’étais obligé de bazarder aussi mes pommes de terre. Ceci m’a permis d’atteindre le grand boulevard où il y avait un trafic intense. En me faufilant parmi les voitures, j’ai pu passer sur l’autre trottoir laissant le chien sur l’autre rive.

Ce jour-là j’ai dû me contenter d’une pomme en guise de repas. J’ai aussi décidé de ne plus négocier avec un chien vorace.