Loups gris : Les soldats d’Erdogan en Europe

par | 1 Avr 2024 | Tribunes libres

Un rappel très nécessaire aux dirigeants de la Turquie et de la Belgique qui ont ignoré les provocations et les attaques des Loups gris lors des récents événements de Bruxelles.

 

J’avais prévu de reporter l’article de cette semaine à demain afin d’exprimer mes réflexions sur les résultats des élections locales qui se sont tenues hier, mais j’ai estimé qu’il était de mon devoir d’écrire ces lignes face aux événements déclenchés par l’attaque de racistes et d’islamistes en Belgique la semaine dernière contre ceux qui revenaient de la célébration du Newroz à Leuven in Heusden-Zolder, et le ciblage des Kurdes de la diaspora à la fois par le gouvernement Tayyip en Turquie et par les dirigeants de la Belgique, au mépris de la réalité des faits.

Le 24 mars, un groupe de fascistes, prétextant les drapeaux des véhicules revenant de la fête du Newroz, s’est rassemblé devant la maison d’une famille Rojavan, a crié des slogans racistes, a détruit les véhicules devant la maison et a tenté de l’incendier, blessant plusieurs Kurdes, dont l’un grièvement.

En réponse à cette attaque, le Conseil démocratique des communautés kurdes de Belgique (NAV-BEL) a fait la déclaration suivante lors du rassemblement de protestation organisé devant le Parlement européen à Bruxelles le lendemain et après les tensions et les affrontements dans certaines villes : “Malheureusement, de nombreux incidents provocateurs et malheureux ont eu lieu depuis le jour de l’attaque raciste/brutale. Nous ne les approuvons absolument pas. En tant qu’organisation sociale, nous avons toujours appelé à agir dans le cadre légal, et en tant qu’organisation sociale, nous appelons tout le monde à agir dans le cadre légal, humanitaire et pacifique. Nous n’acceptons et ne rejetons absolument pas les actions en dehors de ce cadre. Nous invitons à nouveau tout le monde à respecter les lois de l’Etat belge”.

Le conseil kurde ayant adopté une approche aussi pacifique, il n’est pas surprenant que les missions diplomatiques turques en Belgique, les organisations et les médias au service de l’AKP et du MHP, ainsi que les médias, aient blâmé les Kurdes, ignorant les faits, et que le président Erdoğan ait seulement appelé un jeune Turc blessé lors des incidents pour lui souhaiter “un prompt rétablissement”, avant de déclarer : “Ces gens sont immoraux, méprisables, c’est de la canaille…”. Il n’est pas surprenant que les autorités officielles et notre ambassade les suivent et que nous les poursuivions”.

Ce qui est étonnant, c’est que le Premier ministre belge Alexander De Croo lui-même, dans une déclaration sur les événements, a dit : “Le PKK est reconnu comme une organisation terroriste en Europe…  J’appelle à la cessation de toutes les déclarations de soutien à cette organisation terroriste“, en rejetant toute la responsabilité sur les Kurdes, tout en restant complètement silencieux sur la responsabilité des organisations d’extrême droite, qui sont les partisans et les auteurs de la terreur à l’étranger de la dictature AKP-MHP en Turquie et les principaux instigateurs de la récente violence en Belgique.

Signe de mains des Loups-gris en public. Bozkurtlar signifie Les Loups gris en turc.

Les tentatives des Loups gris pour dissimuler leurs actes

M. De Croo, membre du parti libéral flamand Open VLD, est sans aucun doute soucieux de gagner le soutien des électeurs turcs, dont 70 % ont voté pour Recep Tayyip Erdoğan lors de l’élection présidentielle turque de l’année dernière, lors des élections législatives et municipales qui se tiendront en Belgique cette année.

Cependant, il ne fait aucun doute que cette attitude est également influencée par le souci de faire oublier à Ankara un comportement qui l’a rendue furieuse il y a quelques semaines…

Oui, De Croo, qui souligne aujourd’hui que le PKK est une organisation terroriste, a provoqué un tollé au début du mois de Ramadan lorsque, accompagné du ministre de la Justice Paul Van Tichgelt, il a assisté à un dîner d’iftar à l’hôtel Hilton d’Anvers organisé par Fedactio, une organisation proche du mouvement Gülen, qui a été déclaré “organisation terroriste” par le gouvernement Tayyip, et y a prononcé un discours. L’ambassadeur de Belgique en Turquie a été convoqué au ministère des affaires étrangères à Ankara pour expliquer pourquoi M. De Croo avait participé à un dîner organisé par Fedactio.

L’Union des communautés du Kurdistan (KCK) a également publié une déclaration exprimant sa réaction à ce comportement :

“L’approche des États européens est loin de révéler la vérité. C’est également l’approche qu’ils ont adoptée lors de tous les massacres kurdes précédents. Non seulement cette approche ne révèle pas la vérité, mais elle fournit également le terrain pour le développement de nouvelles attaques et de nouveaux massacres à chaque fois. Le gouvernement AKP-MHP organise, arme et attaque des personnes aux idées religieuses, fascistes et racistes dans toute l’Europe. Cependant, alors que tout cela se fait ouvertement, rien n’est fait contre eux, ils sont presque relâchés. Nous demandons aux États européens, et en particulier à l’État belge, de changer d’approche. Il faut savoir que ces gangs fascistes, racistes et religieux de l’ISIS ne ciblent pas seulement les Kurdes, mais aussi les peuples d’Europe. Nous appelons également notre peuple à ne pas en venir aux provocations et à ne pas recourir à d’autres moyens et méthodes que les actions et activités démocratiques. “

De plus, la déclaration de De Croo contre le PKK n’est pas conforme aux jugements de la justice belge. 

Le 8 mars 2019, la Cour d’appel belge a jugé que le PKK ne pouvait pas être considéré comme une organisation terroriste et ne pouvait donc pas être poursuivi, mais les avocats de l’État turc et le procureur ont fait appel de cette décision devant la Cour de cassation le 20 mars 2019.

Alors que le processus judiciaire se déroulait avec des hauts et des bas, SETA, qui a pour mission de dénoncer les opposants politiques du gouvernement Tayyip en exil, est intervenu et a tenté d’influencer la justice belge en diffamant toutes les organisations et personnalités de la diaspora kurde de “terroristes” et toutes les organisations et personnes solidaires, dont Info-Turk, de “soutiens au terrorisme” dans le livre intitulé “La structuration du PKK en Europe” publié en juillet 2019.

Malgré tout, le 28 janvier 2020, la Cour suprême de Belgique, réexaminant l’affaire, a confirmé la décision de la juridiction inférieure, qui a jugé que la lutte pour la liberté du Kurdistan ne pouvait être accusée de terrorisme, qu’il s’agissait d’une guerre, que le PKK était partie à la guerre et que sa lutte devait être traitée dans le cadre du droit international de la guerre, et non de la loi antiterroriste.

Témoin attentif de ce processus, j’ai exprimé dans une déclaration publiée dans Le Soir, le plus grand journal francophone de Belgique, les injustices et les forfaits commis à l’encontre de la nation kurde de la manière suivante :

“Les célébrations du Newroz sont l’une des rares occasions pour le peuple kurde de se faire entendre, lui dont l’identité, les droits nationaux et la liberté d’expression ont été continuellement bafoués depuis la fondation de la république. C’est le droit le plus légitime du peuple kurde d’élever sa voix, non seulement en Turquie mais aussi dans sa diaspora à l’étranger, alors qu’il continue d’être soumis à la répression même pendant les campagnes électorales, que ses maires élus sont démis de leurs fonctions et emprisonnés, que les députés et les dirigeants des partis kurdes sont toujours emprisonnés, et que l’armée turque poursuit ses opérations militaires non seulement dans les provinces kurdes de Turquie, mais aussi en Irak et en Syrie.

“Alors que les pays européens, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne restent silencieux face à l’oppression et à la persécution du peuple kurde, il est compréhensible que les Kurdes de la diaspora réagissent comme les victimes arméniennes et assyriennes du génocide.

“Il ne faut pas oublier que le gouvernement islamiste d’Erdogan, soutenu par les Loups gris en Turquie, utilise constamment les organisations et les médias racistes et islamistes qu’il contrôle pour réduire au silence la résistance kurde, tant à l’étranger qu’à l’intérieur du pays.

“Les événements récents en sont le prolongement.

“Des Kurdes revenant des célébrations du Newroz dans le Limbourg ont été attaqués et, le lendemain, ils ont exprimé leur réaction devant le Parlement européen.

“Dans un esprit de rébellion contre l’injustice et le mépris de leurs revendications, en réaction aux provocations et aux attaques des milieux d’extrême droite, il arrive que des débordements involontaires se produisent.

“Je sais cependant que les organisations représentant la diaspora kurde font de leur mieux pour prévenir et éviter cela et je pense que la seule solution est de développer un dialogue constructif avec les dirigeants de ces organisations.

Extrait de l’article. Le texte complet sera publié dans le n°38 de la revue “Europe & Orient” à paraître en juin 2024.

Source :
https://www.info-turk.be/
Traduit du turc par Varoujan Sirapian