Relations Arménie-Russie : Quelle est la prochaine étape ?

par | 22 Mai 2025 | Tribunes libres

Il est très probable que la Russie reste un moteur de la dynamique géopolitique dans le Caucase du Sud dans un avenir prévisible. Le cessez-le-feu potentiel en Ukraine pourrait ramener les ressources de Moscou dans le Caucase du Sud et renforcer ainsi la position de la Russie. Les relations établies depuis 1991 ont permis à la Russie d’exercer une influence sur l’Arménie, notamment par la présence d’une base militaire russe et de troupes frontalières en Arménie, ainsi que par l’adhésion de l’Arménie à l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) et à l’Union économique eurasienne (UEE), tandis que l’Arménie offrait à la Russie la possibilité de projeter sa puissance dans le Caucase du Sud et d’asseoir sa position d’acteur extérieur le plus puissant dans la région.

 

Au cours des quatre dernières années, les relations entre l’Arménie et la Russie ont considérablement évolué, transformant Moscou d’allié stratégique en partenaire problématique. Les deux parties nourrissent désormais une longue liste de griefs à l’encontre de l’autre. L’ouverture potentielle d’un nouveau chapitre en Ukraine offre également aux deux pays l’occasion de redéfinir leurs relations bilatérales et de trouver un nouveau modus operandi.

Selon le gouvernement arménien, la Russie n’a pas rempli ses obligations au titre de l’accord bilatéral de 1997, à savoir protéger l’Arménie lors des incursions de l’Azerbaïdjan sur le territoire arménien en 2021 et 2022. En outre, la Russie n’a pas empêché la prise de contrôle militaire du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan en septembre 2023. Un autre point de discorde majeur est l’insistance de la Russie à mettre en œuvre l’article 9 de la déclaration trilatérale du 10 novembre 2020, alors que le reste a été annulé en raison du non-respect de cet article par l’Azerbaïdjan et la Russie.

D’autre part, la Russie accuse l’Arménie de « pivoter vers l’Ouest » en approfondissant sa coopération avec l’Union européenne, la France et les États-Unis, en invitant des observateurs de l’UE en Arménie tout en gelant son adhésion à l’OTSC et en la critiquant ouvertement. La signature de la charte de partenariat stratégique entre les États-Unis et l’Arménie et les discussions en vue de la signature d’un nouvel agenda de partenariat avec l’UE ont contrarié la Russie.

L’Arménie a également réduit considérablement sa coopération militaro-technique avec la Russie. Il y a quelques années, l’Arménie se procurait plus de 90 % de ses armes auprès de la Russie. En 2025, ce chiffre est tombé à moins de 10 %, l’Inde et, dans une certaine mesure, la France devenant les principaux partenaires de l’Arménie en matière de coopération dans le domaine de la défense. Il est intéressant de noter que la Russie ne critique pas le partenariat militaire de l’Arménie avec l’Inde, du moins ouvertement.

Malgré ces tensions politiques et diplomatiques, les liens économiques bilatéraux sont florissants. En 2024, les échanges commerciaux atteindront 12,4 milliards de dollars, contre 2,5 milliards en 2021. La Russie reste une destination clé pour une part importante des exportations arméniennes et est la principale source de plusieurs importations stratégiques, dont le blé, tandis que la Russie bénéficie de la réexportation de nombreux biens via l’Arménie, un processus entamé après que les États-Unis et l’Union européenne ont imposé des sanctions à la Russie. Les relations économiques croissantes donnent à la Russie des possibilités supplémentaires de les utiliser comme levier contre l’Arménie si Moscou le juge approprié, mais la réexportation de milliards de dollars de marchandises vers la Russie via l’Arménie fournit également des leviers à Erevan.

Les événements récents ont également eu un impact profond sur la perception de la Russie par l’opinion publique arménienne. Alors qu’une majorité écrasante d’Arméniens considéraient la Russie comme une nation amie en 2018, ce chiffre a maintenant fortement chuté, comme le montre le sondage de l’Institut républicain international de septembre 2024.

Le flou actuel des relations entre l’Arménie et la Russie pourrait poser des problèmes importants à l’Arménie. Dans un avenir prévisible, la Russie restera probablement l’une des principales puissances extérieures dans le Caucase du Sud, avec une influence considérable sur la géopolitique de la région. C’est peut-être ce calcul qui explique que le Rêve géorgien depuis 2024 ait modifié la trajectoire de la politique étrangère géorgienne pour la rendre plus ambiguë. Ces dernières années, la coopération entre la Russie et l’Azerbaïdjan s’est nettement intensifiée à partir de la déclaration d’interaction stratégique de février 2022. La visite d’État du président russe Vladimir Poutine en Azerbaïdjan en août 2024 a été une démonstration éclatante de ce partenariat de haut niveau. L’Azerbaïdjan joue un rôle important dans les efforts déployés par la Russie pour atteindre les marchés iranien, indien et d’Asie du Sud-Est via le couloir de transit international Nord-Sud. La Russie et l’Azerbaïdjan partagent une vision dans laquelle les puissances régionales gèrent les conflits régionaux, et tous deux soutiennent le format de coopération régionale 3+3. Malgré les tensions récentes entre les deux parties, provoquées par le crash du vol AZAL Bakou-Grozny et le rejet de dernière minute par le président Aliyev de l’invitation du président Poutine à assister à la parade militaire du 9 mai 2025 à Moscou, la Russie continue d’exprimer son intérêt pour le développement des relations avec l’Azerbaïdjan, comme l’a déclaré la porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, Maria Zakharova, lors d’une conférence de presse tenue le 15 mai 2025.

Dans le contexte actuel, la Russie pourrait décider qu’elle peut poursuivre ses intérêts dans le Caucase du Sud par le biais d’un partenariat stratégique avec l’Azerbaïdjan. L’Azerbaïdjan a activement encouragé cette perception chez les dirigeants russes de diverses manières, notamment en finançant des experts et des universitaires russes pour dépeindre l’Arménie comme un adversaire de la Russie tout en présentant l’Azerbaïdjan comme une nation amie. Cette évolution risque de peser davantage sur les relations entre l’Arménie et la Russie.

Si une « entente sur l’Ukraine » se développe entre la Russie et les États-Unis sous la nouvelle administration Trump, la Russie aurait alors une plus grande capacité à façonner la géopolitique régionale, tandis que les États-Unis pourraient cesser de considérer la région comme un autre champ de bataille avec la Russie et donc réduire leur implication. Dans ce contexte, la Russie pourrait reprendre – ou poursuivre plus activement – son rôle de médiateur principal dans les négociations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et prendre des mesures pour limiter la présence occidentale dans la région tout en cherchant à gérer sa concurrence avec la Turquie dans le Caucase du Sud. Dans un tel scénario, l’Arménie pourrait se voir demander par la Russie de réorienter sa politique étrangère, en particulier de limiter ses liens croissants avec l’UE, les pays européens et les États-Unis.

Dans un contexte géopolitique régional en pleine évolution, où le Caucase du Sud pourrait être confronté à une situation où l’influence de l’Occident serait moindre et celle de la Russie plus importante, l’Arménie devrait éviter une nouvelle détérioration de ses relations avec la Russie et chercher un nouveau modus operandi. Dans ce contexte, la décision du premier ministre arménien Nikol Pashinyan de se rendre en Russie le 9 mai pour assister à la parade militaire est un pas dans la bonne direction. L’Arménie devrait continuer à communiquer franchement avec la Russie sur les objectifs clés de sa stratégie de politique étrangère, tout en reprenant les dialogues de la voie 2 avec les cercles d’experts russes afin de mieux articuler la position de l’Arménie et de contrebalancer les récits de l’Azerbaïdjan.

Source :

https://mirrorspectator.com/2025/05/17/armenia-russia-relations-what-next/

Traduit de l’anglais par Jean Dorian