Des échecs de la diplomatie arménienne

par | Nov 23, 2021 | Éditorial

 Des échecs de la diplomatie arménienne

par Eric Hacobyan

Traduit du russe par Jan Varoujan et Vladimir F. Fredoux 

 Source : Civilnet /  https://youtu.be/1B0ELnxrtb8

14/11/2021

Bienvenue à la Revue de la
Semaine avec Eric Hakobyan. Cette semaine, nous allons discuter des échecs de la diplomatie arménienne, en particulier au cours de la dernière année après la deuxième guerre d’Artsakh et de l’Arménie. Nous ne parlerons pas des individus, mais des échecs collectifs de notre service diplomatique, parce que, en fin de
compte, l’essentiel, ce ne sont pas les individus, mais les systèmes.

·      Ma première question à notre service
diplomatique ou à notre gouvernement est la suivante : quelle est notre
politique à l’égard de l’Artsakh ? Avez-vous une politique spécifique ? Parce que,
si c’est le cas, vous ne l’avez guère explicité au regard du monde extérieur.

Notre politique sur l’Artsakh
devrait être présentée au monde, sur la base de trois options :

 

La première option est
celle du duo Erdogan-Aliyev : le nettoyage ethnique ou le génocide de tous
les Arméniens vivant en Artsakh. C’est leur objectif depuis longtemps, et c’est
pourquoi les négociations n’ont pas abouti au moindre résultat depuis 30 ans.
Pour cette raison, ils feront tout pour empêcher la reprise de tout processus
de l’OSCE, car ils ne sont pas intéressés par une solution passant par des
négociations. Ils ne sont intéressés que par une victoire complète,
c’est-à-dire l’Artsakh soit débarrassée de sa population arménienne historique,
millénaire. C’est la première option qui devrait être présentée au monde.
Êtes-vous pour ou contre ce projet ?

La deuxième option
consiste à geler la situation actuelle et à la renforcer par le droit, et pas
seulement par un mandat de cinq ans. Cela doit se faire soit par une résolution
du Conseil de sécurité de l’ONU, soit par un processus de négociation qui
codifiera la présence des soldats de la paix en Artsakh et les protégera du
nettoyage ethnique. En outre, il est nécessaire de reprendre le processus sous
les auspices de l’OSCE. Cela devrait être notre but numéro un dans les années à
venir.

Si la deuxième option n’est pas envisageable,
alors la seule option urgente, la troisième option, est la sécession au nom du salut. En vertu du
droit international, si un pays a l’intention de soumettre une minorité
ethnique à un génocide ou à un nettoyage ethnique, il perd tout droit légitime à
gouverner ce peuple. Le régime Aliyev a depuis longtemps perdu le droit moral
ou légal d’avoir d’interférer dans la vie des Arméniens d’Artsakh. Aliyev dans
ses actions contre le peuple de l’Artsakh est beaucoup plus cruel et raciste que
n’a pu l’être Slobodan Milosevic au Kosovo.

La tâche de notre diplomatie est
de confronter la communauté internationale à ce choix exclusif : êtes-vous pour
le génocide et le nettoyage ethnique ou êtes-vous contre ? Si vous êtes contre,
vous avez deux autres options. Notre tâche est de clarifier ces questions et de
ne laisser aucune marge de manœuvre à la communauté internationale, d’imposer
le droit.

·      La deuxième question à notre gouvernement
et à nos services diplomatiques est la suivante : avez-vous mené des recherches
internes pour comprendre les échecs de la diplomatie arménienne au cours des
dernières décennies ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi ? Pour réformer le
service et améliorer sa qualité, il est indispensable de comprendre les causes
des échecs.

·     La troisième question est : comment
peut-on perdre la guerre des relations publiques avec ce régime dégénéré,
raciste et néofasciste ? Vous perdez la guerre des relations publiques contre un
homme qui porte sur ses traits sa laideur morale, et la bassesse de sa
rhétorique, un despote oriental, qu’il serait pourtant facile de diaboliser.

Vous perdez la guerre des
relations publiques au profit d’un pays qui a officiellement héroïsé un meurtrier
qui tue à la hache. Vous perdez contre un pays grotesque dont le vice-président
est l’épouse du président. Vous perdez contre le dirigeant du pays qui a
détruit plus de monuments culturels que l’État islamique et les talibans
réunis, l’homme qui a amené des terroristes internationaux associés à al-Qaïda
en Artsakh pour commettre des crimes de guerre. Vous perdez une guerre de
relations publiques au profit d’un dirigeant de l’Azerbaïdjan qui a utilisé un
jet privé pour kidnapper et torturer des juifs, comme dans le cas d’Alexandre
Lapshin (et l’Azerbaïdjan a été condamné pour cela), un pays   qui
détient illégalement des centaines de prisonniers de guerre et de civils
arméniens dans ses cachots. Vous perdez la guerre des relations publiques au
profit de quelqu’un qui, avec des terroristes et alliés turcs, a commis les
pires crimes de guerre sur le sol européen depuis la guerre de Bosnie au début
des années 90.

En fait, vous êtes en train de
perdre cette guerre parce que nous ne nous impliquons pas, nous ne donnons pas
de visibilité significative à l’Artsakh, nous nous investissons à moitié.

·      Ma quatrième question est la suivante :
quelle est notre histoire, quel est le récit que nous présentons au monde ?

Je vais faire simple. Si vous
êtes un diplomate arménien et que vous ne dites pas tous les jours à vos
collègues diplomates d’autres pays ou des médias internationaux que l’Arménie
est un îlot de liberté dans un océan de tyrannie, vous échouez dans votre rôle.
Renoncez ̶ y et rentrez chez vous. Si vous ne
formulez pas et ne présentez pas quotidiennement la question de l’Artsakh dans
le contexte des droits de l’homme, alors vous échouez dans votre mission.

Pourquoi est-ce important ? Parce
qu’en fait, le problème de l’Artsakh se réduit à la question des droits de
l’homme. Il ne concerne pas l’intégrité territoriale et les territoires libérés
ou occupés, mais concerne ce que le régime fasciste fera de la minorité sous
son contrôle. Et c’est cela qu’il faut marteler, il faut forcer le monde à se
centrer là̶ ̶ dessus, et à
faire son choix.

Cinquièmement, que
dites-vous au monde au sujet de vos ennemis ? Je vais être clair encore une
fois. Si vous êtes un diplomate arménien, vous devriez dire tous les jours à
vos collègues diplomates ou à la presse internationale que l’année dernière,
l’Arménie et l’Artsakh ont été attaqués par le plus ancien État fasciste
d’Europe – la Turquie, et l’État le plus néofasciste et raciste d’Europe
–l’Azerbaïdjan, et que le monde a regardé ce qui se passait sans intervenir…

Si deux ans plus tard, la presse
internationale dans sa prochaine liste de « méchants-dictateurs » n’inclut pas
le nom d’Ilham Aliyev avec Saddam, Kadhafi, Kim Jong-un et d’autres, alors vous
êtez en train d’échouer dans votre entreprise. Le monde moderne est un monde de
spectacle, de mise en scène des relations publiques, et seuls ceux qui
parviennent à exprimer dans ce cadre des questions et des arguments gagneront
la guerre des relations publiques et obtiendront le bénéfice politique
souhaité.

La question suivante est :
quelle est votre politique américaine ? En avez-vous même une ? Le fait est que
les États-Unis adhèrent toujours à une position neutre sur les questions liées
à l’Arménie ou à l’Artsakh et c’est inacceptable. Il y a des millions
d’Arméniens-Américains vivant aux États-Unis, ils sont impliqués dans toutes
les sphères influentes de cette société. Que nous n’ayons pas été en mesure de
les engager de manière plus substantielle est un grand échec.

Pourquoi les États-Unis sont-ils importants
? Certes, ils ont commencé à montrer moins d’intérêt pour le Moyen-Orient ou
pour cette région dans son ensemble. Il est également clair que le pays est
confronté à des problèmes internes de longue date. Cependant, ils constituent
toujours la première force au monde.

Si nous avons la moindre chance
d’entamer des négociations sérieuses sous la médiation de l’OSCE, cela ne se
produira que sous la pression américaine. Les Européens n’ont pas le poids
politique ou la volonté de le faire, nous avons donc besoin d’une politique
américaine sérieuse.

Passons à la question suivante.
L’année prochaine, la France organisera des élections présidentielles. Comment
comptez-vous utiliser ces élections au profit de l’Arménie et de l’Artsakh ?
Pourquoi est-ce important ? Car dans cette élection, dans laquelle la lutte se
déroulera entre l’actuel président Emmanuel Macron et probablement Éric
Zemmour, les deux camps auront besoin des voix des Arméniens de France. Tous
deux chercheront à gagner l’électorat arménien. La France, après tout, est le
pays le plus pro-arménien de l’UE et la deuxième force la plus puissante de
l’Union. Par conséquent, nous devons formuler une demande politique cohérente en
direction des Français, quel que soit le résultat de l’élection, et l’année
prochaine nous offre une grande opportunité.

Question suivante : Que faites-vous
pour améliorer vos systèmes de communication internationaux et locaux ? Cela
mène directement à un autre sujet. Comme vous le savez, l’Arménie a des
ministères, par exemple, de l’économie et de la santé, qui font venir des
spécialistes de la diaspora et les nomment à des postes élevés de députés par
exemple. Nous ne réinventons pas la roue en la matière. Nous avons des
centaines d’Arméniens dans le monde qui œuvrent dans les domaines des relations
publiques, de la diplomatie et de la politique, et nous devons les attirer et
les nommer à des postes afin de réformer le service diplomatique.

Par exemple, que peut-on faire au
niveau des ambassadeurs ? Bien sûr, l’ambassadeur n’est pas celui qui construit
une ligne politique, mais il établit des relations. Supposons que quelqu’un
fasse des affaires dans les pays du Golfe depuis de nombreuses années, vous
pouvez le faire revenir et le nommer ambassadeur aux Émirats arabes unis, et sa
tâche sera d’établir des relations dans le domaine de la politique et des
affaires dans ce pays. Nous n’avons pas besoin de nous limiter à ce que nous
avons maintenant, nous pouvons voir plus grand, attirer plus de gens et ainsi
réformer notre système.

En conclusion

Je déteste dire cela parce que je
sais qu’il y a de merveilleux spécialistes dans notre service diplomatique.
Malheureusement, ils ne sont pas majoritaires. Nous vivons à une époque où il
n’y a pas de place pour un langage mitigé ou les belles paroles. C’est une
période de vérités amères, la question est de savoir quelles mesures nous
allons prendre pour y faire face. Nus pouvons faire beaucoup mieux dans ce
domaine si nous entraînons beaucoup plus de gens pour qu’ils s’impliquent dans
ce projet de façon dynamique.