Par Avedis Hadjian
Le 10 avril 2025, l’Université pontificale grégorienne de Rome a accueilli une conférence intitulée « Le christianisme en Azerbaïdjan : histoire et modernité ». Elle était organisée par le Centre international du multiculturalisme de Bakou, l’Institut Bakikhanov d’histoire et d’ethnologie de l’Académie nationale des sciences d’Azerbaïdjan, l’ambassade de la République d’Azerbaïdjan auprès du Saint-Siège et la communauté religieuse chrétienne albanaise-Udi.
Cet événement n’a pas été un effort académique mais une plateforme de révisionnisme pseudo-scolaire. Il a mis en avant des récits soutenus par l’État visant à effacer la présence historique de l’Église arménienne et à s’approprier ses monuments en les attribuant faussement aux anciens Albanais du Caucase, un peuple totalement différent, sans rapport avec les Albanais modernes d’Europe. Le véritable objectif était clair : délégitimer les racines indigènes des Arméniens et les dépeindre comme étrangers à leurs propres terres ancestrales.
Les documents présentés font partie d’une campagne de propagande bien documentée, qui dure depuis des décennies et qui vise à déformer l’héritage millénaire de l’Église arménienne, sur un sol arménien désormais occupé par un régime qui a fait ses preuves en matière d’éradication culturelle. Ces falsifications, loin d’être de bénignes erreurs d’érudition, constituent des actes délibérés d’agression historique. Elles interviennent moins de deux ans après le blocus inhumain de neuf mois imposé par l’Azerbaïdjan, puis l’assaut génocidaire contre le Haut-Karabakh en septembre 2023, qui a entraîné le nettoyage ethnique de 120 000 Arméniens chrétiens indigènes. Cette atrocité fait suite à la guerre des 44 jours de 2020, au cours de laquelle l’Azerbaïdjan, soutenu par des mercenaires étrangers affiliés à ISIS et à Al-Qaïda, a lancé une offensive non provoquée visant des civils et des sites religieux, notamment la cathédrale de Ghazanchetsots à Shushi.
L’agression de l’Azerbaïdjan contre le patrimoine culturel arménien n’est pas nouvelle. Elle s’inscrit dans le cadre d’une politique de génocide culturel menée de longue date, sur le modèle de la Turquie, partout sur son territoire. Les exemples les plus marquants ont été donnés entre 1990 et 2009, lorsque quelque 10 000 khachkars – les pierres sacrées arméniennes – ont été rasées à Julfa, au Nakhitchevan, dans ce que l’UNESCO et les universitaires ont qualifié de l’un des pires actes de destruction culturelle du XXIe siècle.
Ce qui rend cet épisode particulièrement alarmant, c’est la complicité flagrante du Vatican. La conférence a bénéficié de la pleine connaissance – et dans certains cas, de la participation – de hauts fonctionnaires du Vatican. Il s’agit notamment du père Mark Lewis, S.J., recteur de l’Université pontificale grégorienne, du cardinal Claudio Gugerotti, préfet du Dicastère pour les Églises orientales, et de l’évêque Vladimir Fekete, préfet de la préfecture apostolique d’Azerbaïdjan.
L’Université pontificale grégorienne a déclaré qu’elle n’était en aucune façon impliquée dans l’organisation de la conférence et qu’elle n’avait accordé aucun patronage ni aucune collaboration. Aucune autorité académique ni aucun professeur de l’Université pontificale grégorienne n’a prononcé de vœux, donné de conférences ou assisté à l’événement. L’université a déclaré qu’elle avait simplement loué la salle de classe.*
Bien que l’université maintienne qu’elle n’a fait que louer l’auditorium, l’affichage proéminent des drapeaux du Vatican et de l’Azerbaïdjan sur la scène donne indubitablement à l’événement l’apparence d’un parrainage officiel.
S’il est normal que l’Azerbaïdjan ait recours à la propagande négationniste, il est inacceptable qu’un tel révisionnisme ait été autorisé à prendre racine au sein d’une institution académique majeure du Saint-Siège. Des conférences de ce type sont organisées depuis longtemps à Bakou à des fins de propagande, et il se trouve que cette conférence était la douzième sur le sujet. Mais en organiser une à Rome, sous les auspices du Vatican, confère une fausse légitimité à des mensonges qui servent un programme génocidaire.
Dans une lettre envoyée à la conférence, le cardinal Gugerotti, lui-même arménologue de renom, a honteusement repris les arguments du régime azerbaïdjanais. Il n’a fait aucune mention des centaines d’églises, de cimetières et de monuments culturels arméniens sous occupation, ni des efforts actuels du régime pour effacer leur identité arménienne. Au contraire, il a chanté les louanges de l’Azerbaïdjan.
« L’Azerbaïdjan, carrefour de peuples et de confessions, est une terre ancienne sur laquelle a été préservée une tradition chrétienne qui plonge ses racines dans l’époque de l’Albanie caucasienne », a écrit le cardinal Gugerotti. « Les monuments sacrés, les églises, les manuscrits et les souvenirs de l’ensemble représentent non seulement des témoignages artistiques, mais aussi des expressions tangibles de l’âme d’un peuple qui a su honorer Dieu sous diverses formes et dans la fidélité de sa foi.
La conférence elle-même a été tenue secrète et n’a été annoncée publiquement que la veille de sa tenue. Ses actes n’ont pas été mis en ligne et aucune liste d’intervenants ou de participants n’a été publiée, ce qui constitue un affront à toutes les normes de transparence de la vie universitaire. Cette opacité délibérée suggère que les organisateurs et les responsables du Vatican étaient parfaitement conscients des objectifs fallacieux de la conférence et qu’ils cherchaient à minimiser l’attention du public.
Cet événement s’inscrit dans le cadre de la campagne de génocide culturel menée sans relâche par l’Azerbaïdjan, après le nettoyage ethnique de l’Artsakh et les discours de haine soutenus par l’État et appelant à l’effacement de l’Arménie. La rhétorique du régime, qui qualifie la République d’Arménie d' »Azerbaïdjan occidental », n’est pas un vain discours. Elle s’accompagne d’une politique systématique de violence, de déni et d’effacement, soutenue par un appareil militaire et financier voué à l’arménophobie.
La décision du Vatican de collaborer avec un tel régime n’est pas seulement un échec moral, c’est une trahison alarmante de ses propres valeurs fondamentales. Il s’agit d’un grave scandale qui sape la crédibilité du Saint-Siège en tant que porte-parole de la paix, de la justice et de la dignité des peuples persécutés. Il trahit également les liens spirituels et historiques profonds qui unissent depuis longtemps le peuple arménien et l’Église catholique. Ce lien est aujourd’hui menacé par l’opportunisme politique et le gain matériel : ces dernières années, le Vatican a cultivé des liens financiers de plus en plus étroits avec le régime autoritaire de l’Azerbaïdjan. Comme le montre IrpiMedia, l’Azerbaïdjan a financé des projets de restauration des catacombes romaines, des musées du Vatican, de la bibliothèque apostolique du Vatican et même de la basilique Saint-Pierre. En février 2020, Mehriban Aliyeva, épouse d’Ilham Aliyev et vice-présidente de l’Azerbaïdjan, a été décorée de l’ordre du pape Pie IX, le plus haut ordre de chevalerie papal. La décision du Vatican d’honorer la représentante d’un tel régime a, à juste titre, suscité l’indignation de la communauté internationale.
L’implication de hauts fonctionnaires du Vatican dans un acte qui légitime de fait un génocide culturel à l’encontre de l’Arménie – la première nation chrétienne du monde – est la preuve d’une profonde faillite morale. Elle est en contradiction flagrante avec les valeurs chrétiennes fondamentales de justice, de vérité et de solidarité, ainsi qu’avec les liens fraternels historiques qui unissent depuis longtemps le peuple arménien et le Saint-Siège.
Nous, soussignés, appelons la communauté internationale à condamner sans équivoque la décision du Vatican d’accueillir cette conférence dans les locaux de l’Université pontificale grégorienne, au lendemain du nettoyage ethnique brutal de 120 000 Arméniens chrétiens.
En outre, nous exhortons les Eglises arméniennes apostolique, catholique et protestante, ainsi que leurs paroisses dans le monde entier, le gouvernement arménien, les institutions en Arménie et dans la diaspora, et toutes les organisations et partis politiques arméniens dans le monde, à adopter une position ferme et unie : déclarer le cardinal Claudio Gugerotti, le père Mark Lewis et l’évêque Vladimir Fekete personae non gratae. Par leur participation ou leur complicité avec cet acte de falsification historique et de trahison morale, ils ont perdu tout statut ou accueil parmi les fidèles arméniens. Ils ne doivent pas être autorisés à mettre le pied en Arménie, ni être reçus dans une église, une institution ou une communauté arménienne.
Il ne s’agit pas seulement d’une question politique ou académique, mais d’une crise morale et spirituelle. Le silence et l’inaction ne sont plus des options.
* Cette pétition a été mise à jour en ajoutant le paragraphe marqué d’un astérisque le 14 avril 2025, avec cette clarification de l’Université pontificale grégorienne sur sa participation à la conférence.
Nous, soussignés
1 Dr. Bedros Der Matossian, Université de Nebraska-Lincoln
2 Avedis Hadjian
3 Dr. Vartan Matiossian
4 Dr. Alain Navarra-Navassartian
5 Konstantinos Takirtakoglou, Université Aristote de Thessalonique
Pour voir la totalité des signataires (plus de 350 au moment où cet article est publié) aller sur le site de Kaghart.org en cliquant sur la source)