L’Azerbaïdjan établit un budget militaire record de 5 Mrd de dollars

par | 23 Jan 2025 | Tribunes libres

Par Vahram Revazyan

 

L’Azerbaïdjan établit un budget militaire record de 5 milliards de dollars en dépit des obstacles économiques qui se profilent à l’horizon

 

La décision de l’Azerbaïdjan d’allouer un montant record de 5 milliards de dollars aux dépenses militaires dans son budget 2025 témoigne d’un pari risqué dans un contexte d’incertitudes économiques. Cette augmentation intervient alors que le pays est confronté à la baisse des recettes pétrolières et à la détérioration des réserves fiscales dans le budget pour soutenir les dépenses du gouvernement.

Le budget 2025 prévoit des prix du pétrole à 70 dollars le baril, ce qui est nettement plus élevé que les références prudentes utilisées ces dernières années. Cette hypothèse laisse peu de marge pour absorber les chocs, surtout si l’on considère les prévisions du marché mondial qui suggèrent une offre excédentaire potentielle sur le marché du pétrole. Si les prix du pétrole tombent en dessous du niveau prévu, la stabilité budgétaire de l’Azerbaïdjan dépendra encore plus fortement de son Fonds pétrolier national (SOFAZ), qui est déjà confronté à des difficultés financières. Notamment, les prévisions internationales pour les prix du pétrole en 2025 tournent autour de 75 dollars le baril, ce qui indique que le budget ne comporte pratiquement aucune marge de manœuvre. Si les prix du pétrole tombent en dessous de 70 dollars le baril, l’Azerbaïdjan pourrait être contraint d’augmenter les transferts du SOFAZ vers le budget de l’État.

Les dépenses militaires atteignent un niveau record

En octobre 2025, le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev a soumis au parlement une proposition de budget de l’État qui allouait 4,9 milliards de dollars aux dépenses militaires, soit une augmentation d’un milliard de dollars par rapport au projet antérieur du ministère des finances. Cette charge supplémentaire pèse entièrement sur le Fonds pétrolier de l’État azerbaïdjanais (SOFAZ), faisant passer sa contribution au budget de l’État de 7,5 milliards de dollars à 8,5 milliards de dollars. Selon le ministère des finances, cette augmentation a été ordonnée par le président, citant la nécessité de répondre à « l’accélération de la militarisation de l’Arménie ».

Au cours des discussions parlementaires, le ministre des finances Samir Sharifov a prévu une baisse des recettes pétrolières et gazières en raison de l’épuisement des réserves. Il a également fait remarquer que l’augmentation du budget militaire avait été décidée par Aliyev lui-même, ce qui sous-entend subtilement des inquiétudes quant à la viabilité de cette mesure. Le président de la Chambre des comptes de l’Azerbaïdjan a exprimé des inquiétudes similaires, soulignant l’hypothèse sans précédent d’un prix du baril de pétrole à 70 dollars qui sous-tend le budget – une augmentation considérable par rapport aux références de 50 et 60 dollars utilisées les années précédentes. Cette projection optimiste laisse peu de marge de manœuvre pour les chocs économiques si les prix du pétrole chutent en deçà des attentes.

Risques économiques et dépendance à l’égard du pétrole

La dépendance du gouvernement azerbaïdjanais à l’égard des prix élevés du pétrole pour équilibrer son budget souligne les vulnérabilités structurelles de son économie et sa forte dépendance à l’égard des exportations d’hydrocarbures. Alors que les revenus du pétrole et du gaz représentent actuellement près de la moitié du budget de l’État, il est peu probable que la réduction prévue à 40 % d’ici 2028 se concrétise comme prévu. Au contraire, la diminution attendue des transferts de revenus pétroliers vers le budget de l’État sera compensée par la dévaluation du manat, de sorte que les revenus liés au pétrole continueront à représenter environ 50 % des recettes budgétaires, bien qu’à des taux de change ajustés.

L’absence d’un volant financier dans le budget 2025 ne fait qu’aggraver ces difficultés. Au cours des années précédentes, des hypothèses prudentes sur les prix du pétrole ont permis au gouvernement d’allouer des fonds supplémentaires lorsque les prix du marché dépassaient les attentes. Le budget 2025, cependant, réduit cette marge, augmentant le risque d’instabilité fiscale si les prix du pétrole tombent en dessous des 70 dollars par baril prévus.

Environ 90 % des recettes pétrolières et gazières de la SOFAZ proviennent du champ pétrolier Azeri-Chirag-Gunashli (ACG), dont la production devrait diminuer. Malgré une nouvelle plateforme visant à stabiliser l’extraction, la production du champ ACG diminue plus rapidement que prévu. Les recettes provenant de ce champ devraient s’élever à 4,5 milliards de dollars en 2025, avec un supplément de 0,5 milliard de dollars en paiements de primes, ce qui marque la dernière année de tels paiements dans le cadre des contrats existants. À partir de 2026, la SOFAZ sera confrontée à une baisse encore plus importante de ses revenus en raison de l’accélération du déclin de la production d’ACG.

Le budget officiel de la SOFAZ pour 2025 ne fait état que d’un déficit de 100 millions de dollars, qui semble reposer sur des hypothèses trop optimistes. Ce point de vue est étayé par le fait que la Chambre des comptes de l’Azerbaïdjan n’a pas publié son analyse détaillée habituelle des hypothèses budgétaires de la SOFAZ, telles que les prix projetés du pétrole et du gaz, qui ont été rendus publics au cours des années précédentes.

Des défis socio-économiques croissants

La combinaison de la baisse des revenus pétroliers, de la dépendance croissante à l’égard de la SOFAZ et de l’augmentation des dépenses publiques présente une situation économique précaire pour l’Azerbaïdjan. La stratégie du gouvernement visant à augmenter les dépenses militaires dans ce contexte fait écho à la mauvaise gestion qui a conduit à des troubles économiques pendant la crise de 2014-2016, suivie d’une agression militaire contre le Haut-Karabakh en avril 2016. Avec la détérioration de ses réserves financières, le pays risque de subir des chocs socio-économiques importants dans les années à venir.

Au-delà des défis économiques, plusieurs facteurs géopolitiques pourraient inciter l’Azerbaïdjan à agir de manière agressive contre l’Arménie. La présidence Trump pourrait réduire l’engagement des États-Unis dans le Caucase du Sud, les questions intérieures devenant prioritaires. Le durcissement attendu des sanctions américaines pourrait affaiblir l’influence régionale de l’Iran et sa capacité à maintenir des politiques proactives. La Turquie continue de soutenir les opérations militaires de l’Azerbaïdjan dans le cadre de sa stratégie visant à contrebalancer l’influence russe et iranienne. En outre, la focalisation actuelle de la Russie sur l’Ukraine limite sa capacité à affirmer son influence dans le Caucase du Sud, ce qui pourrait permettre à l’Azerbaïdjan de poursuivre ses objectifs.

Implications pour l’Arménie

L’augmentation du budget militaire de l’Azerbaïdjan et ses vulnérabilités économiques, associées aux facteurs géopolitiques décrits ci-dessus, créent un mélange instable qui pourrait augmenter la probabilité d’un nouveau conflit avec l’Arménie. Bien que l’ampleur et la portée d’un tel conflit restent spéculatives, même des affrontements limités pourraient s’intensifier au-delà des escarmouches précédentes, telles que celles observées en septembre 2022. Il est important de noter que le coût du lancement d’une attaque et de sa réussite a augmenté depuis ces affrontements, ce qui rend les futures actions militaires potentiellement plus difficiles.

Le budget 2025 de l’Azerbaïdjan, tout comme ses politiques fiscales en 2014, signale un pic dans le cycle économique. Après la récession économique de 2014, l’Azerbaïdjan a eu recours à l’escalade des tensions, un schéma qui pourrait se répéter si le cercle vicieux se répète. L’intensification de la militarisation depuis 2020 suggère un calcul stratégique à plus long terme, indiquant que l’Azerbaïdjan pourrait à nouveau utiliser le conflit comme un outil pour faire face aux pressions économiques et politiques internes.

Source :
https://www.civilnet.am/en/news/813320/azerbaijan-sets-record-5bn-military-budget-amid-looming-economic-hurdles/
Traduit de l’anglais par Jean Dorian